En cette semaine consacrée à la rage climatique, j’ai décidé de vous parler de ces couleurs d’automne que j’adore particulièrement. L’été tire sa révérence, les jours raccourcissent et les feuillus se colorent. Bientôt, leur verdure ne sera plus qu’un lointain souvenir. Dans ce pays de froidure, pour garder sa verte parure toute l’année, comme dans la populaire chanson de Noël, mieux vaut regarder du côté du beau sapin, roi des forêts.

Et si je mélange couleurs automnales et colère environnementale dans mon titre, c’est parce qu’il m’arrive de penser ironiquement que cet inévitable cycle de défeuillaison explique peut-être pourquoi les Verts ont autant de difficultés à séduire en politique fédérale. À quand un grand sapin enraciné à Ottawa, un parti bien différent de l’agonisante formation d’Elizabeth May, pour fédérer ces jeunes et ces Mères au front qui manifestent leur rage dans les rues ?

Chose certaine, pendant que le vert foncé se fait invisible, les nuances d’automne s’affichent ostensiblement à gauche. Pensez ici à la couleur orange du Nouveau Parti démocratique (NPD) qui se fait avaler tranquillement par le rouge libéral. Chez ces deux coloris d’automne, on raconte se préoccuper sérieusement de la crise environnementale. Pourtant, comme l’érable, dès que le manque de lumière se fait sentir dans les sondages, masquer le vert du programme devient très souvent un mode de survie politique.

Cet écologisme de surface, c’est celui du Canada qui accueillait le 24e Congrès mondial du pétrole la semaine dernière tout en se vantant d’être un leader dans la lutte contre les changements climatiques.

On a déroulé le tapis rouge aux acteurs de l’industrie gazière et pétrolière à Calgary et, à peu près au même moment, on participait au sommet de l’Organisation des Nations unies (ONU) consacré à l’ambition climatique et l’urgence d’abandonner les énergies fossiles.

Pourtant, même si économie et écologie viennent de la même racine grecque oikos, qui signifie « maison ou habitat », on gagnerait à les hiérarchiser en ces temps de grandes turbulences. Pour le décideur politique qui envisage notre petite oikos biosphérique plus loin que la génération de ses enfants et ses petits-enfants, mettre l’écologie avant l’économie est parfois l’unique voie de la sagesse.

C’est elle qui permettra de perpétuer ce magnifique et énigmatique spectacle automnal pour ceux qui vont venir après nous. J’ai bien dit énigmatique, car pour la science, ce phénomène a son côté clair et ses zones d’ombre.

On sait, par exemple, que les couleurs jaunes et orange des caroténoïdes étaient simplement masquées dans les feuilles pendant la belle saison. De ce fait, en levant cette inhibition, la disparition de la chlorophylle permet à ces teintes de s’exprimer dans le feuillage.

Mais pour la couleur rouge qu’on doit aux pigments appelés anthocyanes, c’est plus compliqué. En effet, leur apparition, qui nécessite une dépense énergétique supplémentaire des arbres, fait encore l’objet d’un débat scientifique.

« Pourquoi les arbres dépensent-ils autant d’énergie à colorer des feuilles qui se préparent à tomber ? » Voilà la question au centre de l’absence de consensus dans cette histoire.

Depuis longtemps, les hypothèses se suivent et se contredisent. Une thèse dite physiologique présente ces pigments comme des phytoprotecteurs et des antioxydants qui protègent l’arbre des effets du rayonnement solaire lorsque le vert du feuillage a pris le large. Des scientifiques croient aussi que le rouge diminue la capacité de camouflage des insectes phytophages qui squattent abondamment les feuillus au début de l’automne.

Parmi les autres tentatives d’explication, celle du défunt professeur de l’Université d’Oxford, le génial William Hamilton, m’interpelle. Dans une position tout aussi critiquée, ce biologiste croit que les arbres investissent dans ces couleurs vives pour passer un message aux insectes qui cherchent à pondre leurs œufs sur leurs branches et écorces à la fin de l’été.

La couleur éclatante de l’érable serait donc une parade militaire de dissuasion pour conseiller particulièrement aux pucerons d’aller voir ailleurs où les feuilles sont plus ternes. Plus les couleurs sont vives, plus l’arbre montre aux bestioles qu’advenant une infestation, il sera suffisamment armé de tannins toxiques pour dégainer massivement sur leur descendance. En biologie, ce phénomène est appelé parfois celui du « signal honnête ».

Or, justement, dans la lutte contre les changements climatiques, le signal du Canada n’est pas toujours honnête.

C’est pour cette raison que la secrétaire générale adjointe de l’ONU pour les communications globales, Melissa Fleming, a asséné un coup de Jarnac à Justin Trudeau au fameux sommet sur l’ambition climatique et l’urgence d’abandonner les énergies fossiles. Elle a présenté le premier ministre canadien comme l’un des leaders mondiaux de l’expansion des énergies fossiles de l’année passée.

À cause de son économie qui carbure aux hydrocarbures, le Canada est un pays écartelé entre le vert durable et le brun pétrole. Un dilemme qui rappelle également la destinée des feuilles d’automne.

En effet, si colorées soient-elles, une fois sur le sol, ce feuillage finit ultimement par afficher des nuances de brun bitumineux, ces couleurs qui font saliver les conservateurs. Dans cet autre parti, le bleu demeure une couleur primaire, mais l’environnement y est secondaire. Ce qui n’est pas surprenant, car les traces de bleu dans la feuille d’érable automnale sont aussi rares que les traces de volonté environnementale des conservateurs.