Les changements climatiques ne sont pas les principaux responsables du déplacement vers le nord de l’aire de répartition du caribou forestier, au Québec, conclut une étude publiée mardi dans la revue Global Change Biology, renforçant le consensus scientifique sur le rôle des activités humaines dans le déclin du cervidé emblématique.

Ce qu'il faut savoir

Les changements climatiques n’expliquent que 17 % du déplacement vers le nord de l’aire de répartition du caribou forestier entre 1850 et 2010 au Québec, conclut une nouvelle étude.

Ce constat renforce le consensus scientifique selon lequel les activités humaines sont les principales responsables du déclin du caribou.

L’étude démontre ainsi la pertinence des efforts de rétablissement du caribou au Québec, indiquent ses auteurs.

De 1850 à 2010, la limite sud de l’aire de répartition du caribou n’aurait reculé que d’environ 105 kilomètres, au lieu de 620, si l’unique facteur en cause avait été le déplacement vers le nord des conditions climatiques propices à l’espèce, ont calculé les auteurs.

Les changements climatiques n’expliquent donc « qu’environ 17 % du recul observé » de la distribution du caribou en 160 ans, constate l’étude réalisée par des chercheurs de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), du Service canadien des Forêts, de l’Université du Québec à Montréal et du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec.

« C’est assez clair qu’il y aurait du caribou beaucoup plus au sud, aujourd’hui, si c’était juste le climat qui guidait la répartition du caribou dans l’espace », résume le professeur en écologie animale à l’UQAR, Martin-Hugues St-Laurent, qui a supervisé l’étude.

Les travaux des chercheurs ont consisté à croiser la distribution historique du caribou avec des modélisations du climat passé, permettant de suivre l’évolution géographique des conditions climatiques propices à l’espèce.

« C’est très novateur comme étude [sur l’analyse] des relations espèces-climat », souligne M. St-Laurent.

Recul causé par les activités humaines

L’impact « relativement limité du climat » et l’ampleur du recul de l’aire de répartition du caribou au Québec « renforcent le consensus scientifique » indiquant que ce recul du caribou est principalement causé par les activités humaines, écrivent les auteurs de l’étude.

« La distribution du caribou forestier a probablement été façonnée par des facteurs anthropiques qui ont perturbé l’état d’équilibre de l’espèce avec son environnement climatique depuis 1850 », affirment-ils, citant l’exploitation forestière, l’agriculture et l’urbanisation.

L’exploitation des ressources naturelles par l’homme a converti la plupart des forêts de conifères matures dont le caribou dépend pour se nourrir et s’éloigner des prédateurs en « une matrice de blocs de coupe récents, de peuplements mixtes, de feuillus en régénération et de petits restes de peuplements anciens résiduels, tous traversés par un réseau dense de routes forestières », souligne l’étude.

L’étude déboulonne ainsi l’idée « couramment soulevée par les opposants à la conservation du caribou » que les coupes forestières et l’extraction des ressources naturelles n’ont rien à voir avec « le déclin pancanadien majeur du caribou », indiquent les auteurs

Cet argument est notamment brandi par l’Alliance Forêt Boréale, organisation paramunicipale du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord.

« Alors que les preuves de la contraction de l’aire de répartition causée par le climat sont peu nombreuses, les preuves qu’elle est causée par la perte d’habitat sont immenses », peut-on lire dans l’étude.

Espoir de rétablissement

En raison de l’influence de ce discours sur les stratégies de rétablissement du caribou, il était « crucial » d’étudier l’impact spécifique des changements climatiques sur la répartition actuelle de l’espèce, estiment les auteurs de l’étude.

Et leurs conclusions donnent « un peu d’espoir » quant au rétablissement du caribou au Québec, en prouvant qu’il n’est pas inutile d’y travailler, affirme Martin-Hugues St-Laurent.

« Ça montre que le défaitisme qui dit qu’on va perdre le caribou avec les changements climatiques est faux », affirme-t-il.

« On peut penser qu’avec les efforts de restauration, on pourrait ramener du caribou [au sud de sa répartition actuelle] », où les conditions climatiques lui sont propices, explique le chercheur.

On devrait techniquement avoir du caribou au Québec à peu près jusqu’au 46e parallèle, entre Val-d’Or et Charlevoix. Le climat y serait favorable.

Martin-Hugues St-Laurent, professeur en écologie animale à l’UQAR

Si les changements climatiques ont eu peu d’impact sur le déclin du caribou jusqu’à maintenant, ils pourraient toutefois en avoir davantage à l’avenir, au fur et à mesure que la crise climatique prendra de l’ampleur, prévient l’étude.

« L’effet négatif combiné des pressions anthropiques et du réchauffement climatique a été identifié comme une menace importante pour de nombreuses espèces menacées », rappelle le document, citant les changements anticipés dans la composition des forêts, l’augmentation des incendies, la distribution des parasites, des pathogènes, des prédateurs et des compétiteurs.

Consultez l’étude (en anglais)
En savoir plus
  • 39 km/décennie
    Vitesse à laquelle s’est déplacée vers le nord la limite sud de l’aire de répartition du caribou forestier au Québec entre 1850 et 2010, selon l’étude
    6,5 km/décennie
    Vitesse à laquelle se serait déplacée vers le nord la limite sud de l’aire de répartition du caribou forestier au Québec entre 1850 et 2010 si les changements climatiques étaient l’unique facteur en cause, selon l’étude