Producteur parmi les plus influents du cinéma québécois, Roger Frappier a aussi été critique, monteur, réalisateur et dirigeant du secteur de la fiction de l’Office national du film. En plus de militer depuis un demi-siècle en faveur de la cinématographie nationale québécoise. C’est cet aspect de l’engagement de Frappier qui semble avoir le plus inspiré son camarade de classe au collège Sainte-Marie, l’essayiste et politologue Denis Monière.

Dans Roger Frappier – Oser le cinéma québécois, Monière retrace le parcours biographique du célèbre producteur québécois, surtout à travers le prisme du nationalisme québécois. « Le projet de Roger Frappier au début de sa carrière était de faire du cinéma un instrument de libération nationale », écrit Denis Monière.

Né à Sorel en 1945, Roger Frappier, étudiant en science politique et jeune militant du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), s’éprend du septième art. Sa passion pour le cinéma se substitue à sa passion pour la politique, note Monière. Il part brièvement étudier le cinéma à la London School of Film Technique et est associé à la postproduction du film If… de Lindsay Anderson.

À son retour au Québec, en 1969, Frappier devient assistant-monteur pour Arthur Lamothe et critique au Devoir. Il réalise dans la foulée des documentaires sur la troupe du Grand cirque ordinaire et sur le projet musical de L’infonie de Walter Boudreau et Raôul Duguay. Ses projets trouvant difficilement du financement, il part aux États-Unis et à force d’insistance, il devient l’assistant (et le chauffeur) de Robert Altman sur son chef-d’œuvre Nashville.

Frappier rentre de nouveau au Québec et à l’ONF, où il produit et réalise un premier film de fiction, le court métrage érotique Voyage de nuit, coscénarisé avec Claude Meunier et Louis Saïa. Il est nommé en 1984 à la direction du studio de fiction de l’ONF, où il convainc Denys Arcand de réaliser Le déclin de l’empire américain. Il fonde ensuite avec Pierre Gendron la société Oz, qui deviendra Max films et produira certains des films québécois les plus marquants des quatre dernières décennies : Un zoo la nuit, Jésus de Montréal, La grande séduction, etc.

Frappier n’aura de cesse de défendre la spécificité du cinéma québécois face au géant hollywoodien, mais aussi devant les instances gouvernementales canadiennes.

Avant de travailler à l’ONF, il a milité contre la discrimination de cinéastes québécois tels que Gilles Groulx et Denys Arcand.

« Dans les médias, on le décrit comme un homme attachant, honnête, créatif, dynamique, généreux et cultivé, écrit Denis Monière, qui brosse un portrait plutôt flatteur de son ami de jeunesse. Mais on souligne aussi que, sous ces dehors agréables, se cache un bulldozer qui peut se montrer soupe au lait et faire des colères épiques. Il sait ce qu’il veut et prend les moyens pour l’obtenir. » Quiconque a subi son courroux pourra le confirmer…

Grand cinéphile, Roger Frappier a du flair. Comme producteur, c’est un « dénicheur de talents », rappelle Monière, qui a lancé notamment les carrières de Denis Villeneuve et de Manon Briand (Cosmos, Un 32 août sur terre, Maelström, 2 secondes, etc.). Denis Monière revient en détail sur les principaux films qui ont jalonné sa carrière – avec mention du nombre de projections et les recettes aux guichets –, jusqu’à The Power of the Dog de Jane Campion, Oscar de la meilleure réalisation en 2022.

S’il est admiratif du parcours de Frappier, Denis Monière n’en est pas moins critique de certaines de ses prises de position.

En rappelant que Frappier a notamment encouragé des cinéastes québécois à tourner en anglais afin d’étendre leur influence à l’international, l’auteur semble reprocher plus ou moins subtilement à son vieil ami d’avoir abandonné certains de ses idéaux de jeunesse.

Son ouvrage plutôt didactique, parfois répétitif, est construit autour d’archives plutôt que d’entretiens, ce qui lui prête un ton distancié résolument universitaire. Il n’en demeure pas moins que ce récit d’une vie peu banale est aussi celui de l’histoire du cinéma québécois, de ses revendications et des luttes de ses artisans, toujours aussi pertinentes 50 ans plus tard.

Extrait

« J’ai passé ma vie à défendre le principe que le cinéma d’auteur devait rejoindre le public […]. Je n’ai jamais érigé un système dans lequel il y a, d’un côté, le cinéma purement commercial et, de l’autre, un cinéma purement d’auteur. J’ai toujours voulu que les films faits pour plaire au public aient quand même une notion d’auteur et que les films qui ont une notion d’auteur puissent plaire au public. » — Roger Frappier

Qui est Denis Monière ?

Essayiste et politologue, Denis Monière a enseigné à l’Université d’Ottawa puis à l’Université de Montréal, après avoir obtenu son doctorat en science politique de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il s’est spécialisé dans l’analyse des discours et des idéologies politiques. Il a fondé le Parti nationaliste du Québec, qui a présenté 75 candidats aux élections fédérales de 1984, le Parti indépendantiste, et a aussi été candidat du parti Option nationale. Ancien président de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois et auteur de dizaines d’essais, il a notamment remporté le Prix du Gouverneur général, le Grand Prix du livre de Montréal ainsi que le Prix du livre politique décerné par la présidence de l’Assemblée nationale du Québec.

Roger Frappier – Oser le cinéma québécois

Roger Frappier – Oser le cinéma québécois

Éditions Mains libres

270 pages