Il n’y a que six classes de maître inscrites dans le programme de la sélection officielle de la 80Mostra de Venise. Après celles de Damien Chazelle, Nicolas Winding Refn et Wes Anderson, c’était dimanche au tour de Philippe Falardeau d’avoir droit à cet honneur. « C’est gênant de donner une classe de maître quand on n’est pas un maître ! », a déclaré le Québécois.

Le cinéaste de Congorama et de My Salinger Year était jumelé à l’Allemand Edward Berger, réalisateur de All Quiet on the Western Front, lauréat de quatre Oscars, dont celui du meilleur film international, en mars dernier.

« Je ne suis pas convaincu que j’aurais eu la même carrière si ce n’était des festivals dans le monde où j’ai présenté mes films », a admis Falardeau, qui participait à distance à la conférence pour raisons de santé l’ayant empêché de se rendre à Venise.

Comme Edward Berger, qui a grandi dans une famille d’ingénieurs « dans une ville où l’on construit des voitures » – à Wolfsburg, siège social de Volkswagen –, Philippe Falardeau n’était pas destiné à une carrière de cinéaste après ses études en sciences politiques. « Moi, je viens d’un continent qui priorise les autos avant les gens ! », a-t-il ironisé, avant d’évoquer sa participation à la Course destination monde, qui fut son école de cinéma.

« J’ai dû réaliser 20 films dans 20 pays », dit-il.

J’aime raconter la vie des autres, probablement parce que j’ai appris mon métier à 22 ans, en étant obligé d’aller vers les gens, les migrants, les réfugiés. Je m’intéresse à leur regard. C’est peut-être le fil conducteur de mes films.

Philippe Falardeau

Le Québécois a rappelé que La moitié gauche du frigo, son premier long métrage, devait à l’origine être un documentaire. Son colocataire de l’époque était, comme le personnage de Paul Ahmarani, un ingénieur déprimé à la recherche d’un emploi. « J’ai soumis le projet pour du financement comme un documentaire, mais entre-temps, mon coloc s’est trouvé du travail. C’était tant mieux pour lui, mais pas pour moi ! Alors j’ai transformé le projet en fiction inspirée par son parcours. »

Comme Edward Berger, Falardeau a travaillé chez lui et à Hollywood, en télé comme au cinéma, et a été finaliste aux Oscars, pour Monsieur Lazhar. « Je n’ai jamais pensé que je ferais des films aux États-Unis, dit-il. Ironiquement, c’est mon film le plus intime, une production à petit budget réalisée à Montréal, qui m’a donné accès aux moyens des studios américains. »

Pour Edward Berger, il était tout naturel, après avoir réalisé la série Patrick Melrose avec Benedict Cumberbatch, de retourner en Allemagne tourner un film sur la Première Guerre mondiale. « C’est un sujet qui, malheureusement, me touche personnellement puisque mon pays a provoqué deux conflits mondiaux depuis 100 ans. J’y pense tous les jours. C’était inévitable que je m’y colle. »

La question que se pose Philippe Falardeau, lorsque se fait entendre l’appel des sirènes d’Hollywood, c’est s’il a quelque chose de pertinent à dire sur le sujet qui lui est proposé. C’était le cas pour The Good Lie (2013), avec Reese Witherspoon, puisqu’il avait déjà filmé des images documentaires de réfugiés au Soudan.

Parce que j’aime faire des films chez moi, dans ma langue, le plus dur est de trouver un équilibre entre les deux carrières. Il faut que je garde en tête ce que j’ai envie de faire et ce que j’ai à apporter.

Philippe Falardeau

Le prochain long métrage d’Edward Berger s’intitule Conclave et a été tourné à Rome, sur le Vatican, avec Ralph Fiennes et Sergio Castellitto. Le prochain film de Philipe Falardeau est une adaptation du roman Mille secrets mille dangers d’Alain Farah. « C’est un peu l’histoire d’un gars qui pense qu’il va mourir le jour de son mariage, dit-il. C’est peut-être parce que je suis hypocondriaque que je veux faire ce film ! Ça parle aussi de notre rapport à la famille et ça devrait être tourné l’été prochain. »

Dans la même veine que Wes Anderson en classe de maître la veille, Philippe Falardeau constate que plus il prend de l’expérience, plus il doute de lui-même. « Faire des films ne devient pas plus simple pour moi, dit-il. Je m’autocensure parce que je sais d’expérience que certaines choses ne pourront pas se réaliser. Je dois me méfier de moi-même. Je m’ennuie parfois du front que j’avais quand j’étais plus jeune. Je préfère des films échevelés que lisses, mais mes films sont plus lisses avec le temps parce que j’ai plus de métier. Sont-ils meilleurs ? Je ne sais pas. Je suis mon plus grand ennemi. »

Léa Seydoux est solidaire

PHOTO CHRISTOPHE SIMON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’actrice française Léa Seydoux, à Cannes en 2019

Il n’y a pas que les acteurs hollywoodiens qui boycottent les grands festivals en raison de la grève de la Screen Actors Guild. L’une des actrices françaises les plus connues à l’échelle internationale, Léa Seydoux, n’était pas à Venise, dimanche, pour la première mondiale de La bête de Bertrand Bonello, dont elle est la tête d’affiche. Elle a fait parvenir un mot de solidarité avec ses camarades américains, qui a été lu en conférence de presse.

La bête, drame rétrofuturiste coproduit par les Québécois Nancy Grant et Xavier Dolan (qui prête sa voix à l’intelligence artificielle dans le film), est librement inspiré d’une nouvelle d’Henry James de 1903, The Beast in the Jungle. Le dixième long métrage de Bonello est un film élégant et énigmatique, troublant et anxiogène, qui se déroule dans des univers parallèles et un espace-temps variable, avec des allers-retours constants entre le passé (1910, pendant les inondations de Paris), le présent (2014, en fait) et le futur (2044).

Bonello parvient à maintenir une ambiance d’inquiétude pendant toute la durée de ce film de 2 h 20, qui alterne entre le français et l’anglais, Paris et Los Angeles. La bête commence par une scène dans une scène, dans laquelle Léa Seydoux incarne une actrice française à Hollywood qui doit jouer la peur sur fond vert. On la retrouve ensuite au début du XXe siècle, dans la peau d’une pianiste mariée à un fabricant de poupées, croisant un jeune Londonien (George MacKay) à qui elle a jadis confié de sombres pressentiments. On la découvre enfin en 2044, hésitant à se soustraire à une purification de son ADN, afin de se couper de ses sentiments.

Par ses différentes mises en contexte, le film aborde les craintes liées à l’envahissement de l’intelligence artificielle (le taux de chômage est de 67 % en 2044) ou encore à la culture misogyne des Incels. Avec des procédés qui rappellent notamment certains films de Michael Haneke, Benny’s Video ou Funny Games par exemple. Le cinéaste de Nocturama et de Quelque chose d’organique, son premier long métrage, tourné alors qu’il habitait Montréal, est au sommet de son art dans ce film somptueux et glacial, mystérieux et parfois opaque, qui dévoile peu à peu ses multiples couches.

Le tueur écoutait The Smiths

PHOTO TIZIANA FABI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le réalisateur David Fincher à la présentation de son filmThe Killer

The Killer, le nouveau film de David Fincher, n’a pas une trame particulièrement originale. Des histoires de tueurs à gages dont la tête a été mise à prix et qui se vengent, on a vu ça des dizaines et des dizaines de fois. Fincher a cependant une manière suave et élégante de rendre ce récit violent et conventionnel à l’écran. En créant une ambiance particulière et en distillant, grâce aux banales perles de sagesse des dialogues intérieurs du tueur, un humour très efficace.

L’excellent Michael Fassbender incarne ce tueur d’élite embauché à fort prix, dont la routine banale, d’ordinaire réglée au quart de tour, a été bouleversée par une vendetta. Le tueur change constamment d’identité, prétexte à des blagues sur la culture populaire américaine qui n’ont pas semblé trouver preneur chez le public européen de la Mostra.

Parmi les noms d’emprunt de cet être à la fois cynique et pragmatique, consciencieux et je-m’en-foutiste, il y a par exemple Lou Grant, un personnage du Mary Tyler Moore Show, George Jefferson, de la série All in the Family, ou encore Sam Malone, qui, comme dans Cheers, détient un permis de conduire du Massachusetts…

Pour que son rythme cardiaque ne s’emballe pas trop, malgré le stress lié à son emploi du temps et à ses obligations professionnelles, le tueur écoute exclusivement des chansons des Smiths. « Je trouvais ça amusant et drôle, a-t-il déclaré en conférence de presse dimanche. Je ne crois pas qu’il y a un répertoire de musique populaire aux paroles aussi sardoniques et spirituelles. Ce mixtape était une façon amusante d’avoir un aperçu de la vie de ce personnage dont on ne connaît pas grand-chose. » C’est aussi la confirmation que David Fincher ne se prend pas trop au sérieux.