(Venise) C’est le titre le plus intrigant du Festival international du film de Venise. Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, de la Québécoise Ariane Louis-Seize, était présenté en première mondiale dimanche, en compétition dans la section Venice Days.

« La réaction du public a été formidable ! Il y avait plein de jeunes », m’a confié Sara Montpetit, la tête d’affiche du film, à la sortie du Palazzo del Casino, après avoir signé des autographes.

Je suis tombé sous le charme de ce formidable film de vampires à l’humour noir, doublé d’un récit d’apprentissage attendrissant. Le premier long métrage d’Ariane Louis-Seize, qu’elle a coscénarisé avec Christine Doyon, est un numéro d’équilibriste particulièrement réussi entre le drame et la comédie, sur un sujet aussi grave et délicat que le suicide.

« Je veux faire un film de vampires depuis mon premier court métrage, La peau sauvage (2016) », confie Ariane Louis-Seize, rencontrée avec une partie de l’équipe de son film dimanche midi, à la Casa Degli Autori. « J’ai toujours aimé les univers surnaturels, avec des personnages qui sont en marge, dit-elle. Les vampires nous permettent d’aborder plusieurs problématiques et thématiques profondément humaines. La vie, la mort… » Et tout ce qu’il y a entre les deux, serait-on tenté d’ajouter.

« Ça permet d’aborder toutes sortes de sujets sans le côté moralisateur », croit Christine Doyon.

On parle de solitude, de santé mentale, de charge mentale, mais il y a toujours quelque chose de décalé qui fait que l’on s’immisce dans cet univers sans taper sur le clou.

Christine Doyon, scénariste

La « vampire humaniste » du titre du film se prénomme Sasha (Sara Montpetit). C’est une adolescente sensible, à la fibre artistique, qui refuse de céder à sa nature sanguinaire. Elle ne s’est pas encore fait les dents sur un humain et n’y compte pas. Ses canines, du reste, tardent à faire leur apparition, malgré le clown que ses parents lui ont offert pour son anniversaire.

Sasha se contente de boire du sang à la paille dans les sachets qui sont à sa disposition dans le frigo familial. Son père (Steve Laplante) la soutient, mais sa mère, Georgette (Sophie Cadieux), est moins indulgente. Elle n’en peut plus de porter toute la charge mentale (et sanguine) de la famille. À son mari qui se targue d’être allé « chasser » le lundi, Georgette rétorque un ironique : « Wow ! Bravo ! »

Les parents de Sasha ont des problèmes de gestion d’adolescents, comme tous les parents. Ce qui explique sans doute en partie le grand enthousiasme du public, jeune et moins jeune, à la première projection publique du film. « Ce sont des relations, et des sentiments, qui sont dépeints avec tellement de finesse qu’on peut vraiment s’identifier aux personnages », résume avec justesse la comédienne Noémie O’Farrell, qui incarne la cousine de Sasha, Denise.

Sasha est envoyée par ses parents vivre chez Denise, qui choisit ses proies parmi des garçons qu’elle méprise, à commencer par un douchebag archétypal du nom de J-P, un « bro » qui ponctue ses phrases d’expressions espagnoles, ce qui a provoqué l’hilarité du public de la Mostra.

Sasha aimerait être comme les autres ados. Mais manger de la poutine serait suicidaire, lui rappellent ses parents, qui l’inscrivent dans un groupe d’aide pour dépressifs anonymes. Elle y fait la connaissance de Paul (Félix-Antoine Bénard), un garçon timide, souffre-douleur de ses camarades de classe, qui ne trouve pas de sens à sa vie et veut en finir. Sasha lui propose un marché.

Comme on est dans le film de vampires, mais aussi le coming of age et l’humour noir, on reconnaît les codes, que l’on déjoue en les mélangeant.

Ariane Louis-Seize, réalisatrice

Le résultat est un film sensible et beau, tantôt mélancolique, tantôt comique, qui multiplie les métaphores et les sous-entendus, notamment sur les maladresses et le stress de la « première fois ». Avec un humour subtil qui s’apparente à celui du cinéaste Stéphane Lafleur, qui signe d’ailleurs le montage du film.

Certains, surtout s’ils n’ont pas vu Vampire humaniste, pourraient trouver indélicat de traiter de suicide sur un ton humoristique. « De l’avoir fait avec bienveillance, avec de la lumière et de l’humour, ça peut faire œuvre utile », croit plutôt Christine Doyon.

« Ça peut être un terrain glissant de rendre un sujet comme le suicide edgy et cool, reconnaît Sara Montpetit, mais le film ne fait pas du tout ça. Il rend edgy et cool le fait de se comprendre dans ses différences. Il s’agit de deux personnages qui ne se sentent pas interpellés dans leur univers, qui n’arrivent pas à se trouver, et qui se trouvent entre eux. »

« En même temps, c’est encore plus drôle quand le sujet est glissant ou un peu dangereux », ajoute Félix-Antoine Bénard, en donnant l’exemple de l’œuvre de Luis Buñuel.

J’ai eu un véritable coup de cœur, non seulement pour le ton et la finesse du scénario, pour le jeu uniformément décalé des acteurs – qui témoigne de la qualité de la direction d’Ariane Louis-Seize –, mais aussi pour la signature visuelle singulière de ce film irrésistiblement original. La direction artistique, notamment de la maison des vampires, est splendide.

« Au Québec, on n’ose pas toujours aller dans une proposition formelle aussi assumée, remarque Sophie Cadieux, à Venise pour un saut de puce pendant des répétitions au théâtre. C’est savoureux, les plans sont beaux, il y a une luxuriance dans la texture veloutée du film. »

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, qui met aussi en scène Marie Brassard, Patrick Hivon et Marc Beaupré, est l’un des dix films de la compétition de la section Venice Days, choisis parmi 1200 candidats soumis aux programmateurs. La directrice artistique de la section m’a d’ailleurs confié la semaine dernière que son fils adolescent lui avait fait promettre, après avoir vu le film, de le retenir en sélection…

Vampire humaniste est aussi en lice pour le Fan Heart Award, un prix parallèle de la Mostra, remis par des cinéphiles au film étant le plus susceptible de marquer la culture populaire. Parmi les dix finalistes, on trouve les plus récents films de Wes Anderson, Bertrand Bonello, Yorgos Lanthimos, David Fincher, Richard Linklater, Sofia Coppola… et Ariane Louis-Seize. « Mon nom à côté de ces idoles ! », dit la cinéaste, qui n’en croit toujours pas ses yeux.

Je ne sais pas si son film remportera un prix à la barbe de ces pointures du cinéma mondial. Mais une chose me semble évidente : Vampire humaniste marquera le cinéma québécois.