Avec SOLO, son troisième long métrage après Chien de garde et Souterrain, Sophie Dupuis retrouve son acteur fétiche, Théodore Pellerin. Pour explorer la scène des drags. Mais aussi la famille et les relations toxiques. Un film flamboyant, émouvant, qui confirme l’immense talent de la scénariste et réalisatrice québécoise.

Toronto dimanche, Montréal le lendemain, puis Trois-Rivières, Sherbrooke et Québec la semaine prochaine. À n’en pas douter, Sophie Dupuis et Théodore Pellerin ont bien entamé leur marathon de premières et d’entrevues. La Presse les a rencontrés au début de leur course folle, dans une buvette de la rue Ontario Est. Les deux complices sont emballés par la sortie de SOLO au Québec, et de sa « présentation-gala » dimanche soir, au prestigieux Roy Thomson Hall, à l’occasion du Festival international du film de Toronto (TIFF). Une « validation » pour Dupuis qui n’y avait jamais été invitée.

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Pour SOLO, la cinéaste Sophie Dupuis retrouve son acteur fétiche, Théodore Pellerin.

Toutefois, Théodore Pellerin semble plus nerveux que la réalisatrice… Doute-t-il de la réaction du public torontois ? « Je doute tout le temps ! C’est stressant de voir un film en même temps que 1500 personnes dans une salle. Je suis énervé, mais j’ai aussi très hâte et je suis bien entouré. »

Après leur collaboration pour Chien de garde, Sophie Dupuis s’est liée d’amitié avec Théodore Pellerin (elle le nomme toujours « Théo » durant l’entrevue). La réalisatrice a d’ailleurs écrit SOLO durant la pandémie, en pensant à l’acteur pour le rôle principal.

Ma carrière est encore à ses débuts, mais je ne pense pas que je vais rencontrer beaucoup d’acteurs comme lui dans ma vie. Théo a quelque chose de très fort dans sa présence. Sur le tournage, après un bloc de répétitions, des interprètes me disaient avoir l’impression d’avoir eu une classe de maître de jeu en travaillant avec lui.

Sophie Dupuis

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Sophie Dupuis

« Théo, c’est une muse. J’aime son regard plein d’amour sur les personnages qu’il interprète. À 19 ans, sur le plateau de Chien de garde, il répétait : “Il faut qu’on l’aime, Vincent [un adolescent impulsif, violent et instable].” Pour moi, ç’a été une leçon de partager, dans mon écriture, cette manière bienveillante d’aborder les personnages. »

Outre Pellerin, SOLO met aussi en vedette l’acteur français Félix Maritaud (Sauvage, 120 battements de cœurs par minute), Alice Moreault, Anne-Marie Cadieux, Jean Marchand, Tommy Joubert et Marc-André Leclair (mieux connu sous son nom d’artiste drag, Tracy Trash).

Corps politique

SOLO raconte l’histoire de Simon, une étoile montante de la scène drag queen de Montréal. Lorsqu’il rencontre Olivier (Félix Maritaud), la nouvelle recrue du bar où il se produit, il a un coup de foudre. Commence alors une histoire d’amour qui changera vite en une dynamique destructrice. En parallèle à son couple toxique, la mère de Simon (Anne-Marie Cadieux), célèbre chanteuse d’opéra, revient travailler au pays après 15 ans d’absence. Simon s’acharne à essayer de créer un lien avec cette femme froide et distante. Perturbé par ces deux amours impossibles, Simon devra se rendre compte qu’il mérite mieux.

Selon Sophie Dupuis, la drag est un geste artistique (« il faut être très polyvalent et doué pour monter un numéro de drag ») et aussi « un geste politique ». « Il y a quelque chose de très libérateur humainement. Cet art repose sur l’humour, la célébration, l’acceptation de soi. Être en contact avec des drag queens pour ce film m’a décomplexée dans ma vision de mon corps. Ma façon de percevoir et d’exposer ma propre féminité ; de ne pas avoir peur du jugement des autres. »

Selon les deux complices, les drags utilisent les codes et les archétypes de la féminité pour mieux les déconstruire. C’est une forme satirique qui véhicule un message libérateur. Théodore Pellerin a fait un apprentissage pour interpréter Simon en drag, commençant par le b.a-ba : apprendre à bien marcher avec des talons hauts.

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Théodore Pellerin

C’est une composition, bien sûr. En même temps, comme pour tous les rôles, c’est une extension de soi. Ce qui m’intéresse dans un rôle, c’est le défi qu’il représente. Je dois avoir un peu la chienne et l’impression de ne pas pouvoir y arriver !

Théodore Pellerin

Le comédien de 26 ans en pleine ascension travaille beaucoup à l’étranger. Pellerin sera en vedette dans une série d’Apple TV sur Benjamin Franklin et une autre de Disney+, Kaiser Karl, où il incarne l’amant dandy du designer Karl Lagerfeld. Or, malgré le succès international, il garde les deux pieds sur terre. Après avoir créé une pièce de Michel Marc Bouchard au TNM, en 2021, l’acteur souhaite remonter sur les planches.

Mais son plus grand bonheur reste de tourner avec son amie. « Sophie crée un espace de travail unique, que je n’ai vu nulle part ailleurs. Non seulement à cause de notre complicité, notre amitié, mais aussi par les liens créatifs qu’elle tisse avec tous ses collaborateurs. Elle aime les gens et les écoute. Elle est en dialogue constant avec l’équipe. Elle a une capacité de se mettre en danger. Elle ne rejette jamais les idées des autres. »

Notre Scorsese

En présentant SOLO aux médias québécois, le directeur du Festival de cinéma de la ville de Québec, Hugo Latulippe, a eu des termes très élogieux envers le talent de Sophie Dupuis. « C’est notre [Martin] Scorsese à nous », a-t-il dit.

Est-ce que la cinéaste rêve aussi d’aller travailler à Hollywood ? « Je n’espère pas un avenir ailleurs. J’ai de l’ambition toutefois, et tant mieux si ça arrive. Mais je reste très attachée au Québec, à sa culture, à ses histoires. Je suis contente de participer à son rayonnement en présentant mes films à l’étranger dans des festivals. »

À 37 ans, la carrière de Sophie Dupuis est encore jeune. Chacun de ses films se passe dans des univers très différents. Une famille dysfonctionnelle de Verdun (Chien de garde) ; des travailleurs d’une mine de son Abitibi natale (Souterrain). Veut-elle renouveler son univers à chaque nouveau film ?

« Ce n’est pas un choix que je fais [d’explorer des univers différents]. C’est l’univers qui s’impose à moi pour en devenir une obsession. J’ai découvert l’art de la drag, comme bien du monde, en regardant la téléréalité RuPaul Drag Race. En entendant des témoignages touchants de candidats et de candidates (sur leur vécu, leur famille, leurs blessures d’enfance), j’ai réalisé l’importance des drags pour faire évoluer la société. »

En salle le 15 septembre