Mettez un instant vos préjugés de côté. Et imaginez si l’on pouvait réunir un groupe de sans-abri, les amener à la campagne, pourquoi pas au bord de l’eau, dans une sorte de colonie de vacances, pour l’été ? Pure folie ? Fantasme de travailleur social ? Ou lueur d’humanité ?

Il y a un peu beaucoup de cela derrière Le temps d’un été, joyeux long métrage estival qui sortira vendredi prochain. En plus d’un désir avoué de raconter une histoire qui fait du bien, tout simplement. Et par les temps qui courent, alors que les mauvaises nouvelles déboulent, ça ne peut pas exactement faire de tort.

Le film, réalisé par Louise Archambault, met en effet en vedette Patrice Robitaille dans le rôle de Marc, un curé fatigué et endetté, qui hérite par un heureux hasard d’un domaine dans le Bas-du-Fleuve. Il décide sur un coup de tête et avec la complicité d’une collègue (Élise Guilbault) d’amener une demi-douzaine de sans-abri avec lui. Pour leur payer des vacances, tout simplement. Leur offrir un semblant d’insouciance. Et un je-ne-sais-quoi de vie de famille. « Parce que si on n’est pas capable d’amener une gang à passer un été à la campagne, je ne sais vraiment pas ce qu’on fait ici », dit le personnage de Marc dans la bande-annonce, dans une réplique sentie qui donne le ton.

C’est à Marie Vien que l’on doit cette idée pour le moins originale. La scénariste (La passion d’Augustine) a fait du bénévolat pendant des années à La Maison du Père. Et c’est là qu’est né ce rêve, pardon, cette idée inédite de scénario. « Je voyais là cette fresque de la vie et je me suis attachée à eux », confie-t-elle.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La scénariste Marie Vien

J’avais envie d’un film où ces gens [en situation d’itinérance], le temps d’un été, pourraient prendre un break de leur vie de misère.

La scénariste Marie Vien

« J’avais envie de ça. Je les voyais chaque semaine, et mon Dieu, mais qu’est-ce qui pourrait arriver si on leur donnait la chance, le temps d’un été, d’être en contact avec la nature, de vivre ensemble, si on leur donnait une famille ? », raconte Marie Vien. Bref, de rompre leur solitude.

Humanité transcendante

Délirante utopie ? C’est que les sans-abri ne sont pas un groupe homogène. Il y a une « fresque sociale », résume la scénariste. « Il y a ceux qui sont très visibles. » Lire : ceux qui font du bruit et qu’on n’emmènerait pas forcément en vacances avec soi. Mais non, tous ne sont pas non plus si « poqués ». « Ça existe aussi, la petite vieille oubliée, le militaire qui a eu un choc traumatique en Afghanistan, le réfugié congolais, ça existe ! » Elle en a croisé, et elle s’en est inspirée. Tout comme le personnage de Marc, d’ailleurs, un mélange de plusieurs curés et autres aumôniers de rue rencontrés, aux parcours de vie souvent insoupçonnés. « J’ai tellement rencontré de prêtres qui m’ont révélé des choses. Il y en a qui ont adopté des enfants, vécu des vies parallèles… » On ne vous en dira pas plus, mais sachez que la scène d’ouverture est assez étonnante, merci.

Cela étant dit, l’idée de la « colonie de vacances » est bel et bien de son cru. Le fruit de son imagination. « J’avais envie qu’on plonge dans un bain d’humanité, avec tout ce qu’il y a de beau, mais aussi de laid, de magique et de drôle, poursuit la réalisatrice. Et j’espère que les spectateurs vont aussi se laisser transporter par l’humanité des personnages qui transcende les différences, l’itinérance et la misère. »

Et c’est cette humanité qui a précisément accroché la réalisatrice Louise Archambault (Gabrielle) dans le scénario. « J’ai toujours été curieuse de l’autre, comment l’autre trouve son chemin, comment les personnages différents trouvent leur bonheur », lance-t-elle à son tour.

Avec Marie Vien, Louise Archambault a aussi fait du bénévolat à La Maison du Père, mais son intérêt remonte à bien plus loin. Dès l’université, elle a fait des projets sur l’itinérance. Elle a même réalisé une fiction sur un sans-abri à la fin de son bac à Concordia. « Je me suis toujours questionnée sur les laissés-pour-compte. On est plein d’humains sur la planète, pas nécessairement nés dans les mêmes conditions, mais tous, en fin de compte, avec les mêmes besoins. »

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La réalisatrice Louise Archambault

Pourquoi on se retrouve dans cette situation d’itinérance, pourquoi on a peur d’eux, pourquoi on les ignore, et comment raconter un bout d’histoire pour ouvrir le dialogue et offrir une ouverture sur la différence ?

La réalisatrice Louise Archambault

Parce que dans le fond, poursuit-elle, « peut-être qu’on se ressemble plus qu’on croit » ?

Elle le sait, son film tombe à pic. « Est-ce qu’il y a quelque chose par rapport aux actualités, au climat d’inquiétude ? […] Oui, j’ai envie que ça fasse du bien. Que ça remplisse le cœur, confirme-t-elle, mais sans que ce soit vide de contenu. »

Parce que bien sûr, il y a ce risque de tomber dans la légèreté, ou le cliché, et la réalisatrice en est bien consciente. Pour éviter certains écueils ou stéréotypes régionaux, Louise Archambault a d’ailleurs tenu à engager des figurants locaux (une stratégie également adoptée lors du tournage d’Il pleuvait des oiseaux), de Sainte-Luce ou encore Rimouski. « Pour être tous là, au service d’une même histoire. »

PHOTO FOURNIE PAR IMMINA FILMS

Le curé Marc (Patrice Robitaille) et sœur Monique (Élise Guilbault), entourés de leur joyeuse bande de sans-abri dans Le temps d'un été

Quant à la proposition certes un brin jovialiste, Louise Archambault, l’assume, tout simplement. « Il faut l’assumer, sourit-elle. C’est une fiction, mais je ne pense pas que ce soit utopique. » Ces personnes itinérantes qui n’ont plus rien, qui ont perdu leur travail et sont tombées dans une dépendance, n’ont plus de ressources. Sauf que quand elles sont transportées en « camp de vacances », défend-elle, « des liens se tissent ». « Elles sont accompagnées, fait-elle valoir. Et quand tu as de l’aide, tu as des ressources. […] C’est sûr que ça fait une différence. »

Et cette aide, c’est au personnage clé du curé qu’on la doit, un personnage très loin de Patrice Robitaille, faut-il le souligner. Et il le fait en riant.

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Patrice Robitaille incarne le curé Marc.

J’ai souvent des rôles plus cyniques. Je ne suis pas là-dedans du tout, la bonté, l’ouverture à l’autre, et c’est assez confrontant !

Patrice Robitaille

N’empêche qu’il fallait oser, mettre en scène un curé comme personnage principal, en 2023. Les spectateurs embarqueront-ils dans la proposition ? « C’est la grande question. C’est un film super beau, qui fait du bien, avec des images hallucinantes, dans un lieu de tournage incroyable, avance Patrice Robitaille. Moi, j’ai découvert des lieux du Québec où je ne m’étais jamais arrêté. » Et puis il est difficile de ne pas adhérer au noble message sous-jacent : « Derrière tous les éclopés, il y a des êtres humains qui ne demandent qu’à être aidés. Parce que ce n’est pas vrai qu’ils ont tous décroché de la société et qu’ils ne veulent plus rien savoir de personne, conclut Patrice Robitaille. Et ça peut juste faire du bien de faire le bien… »

Bien dit, tiens.

En salle le 14 juillet