Dans son premier long métrage, Jules au pays d’Asha, Sophie Farkas Bolla raconte l’histoire d’une amitié improbable entre un jeune colon nouvellement installé dans le nord du Québec et une fillette autochtone. Même si les aventures de ce duo se déroulent dans les années 1940, les thèmes au cœur de ce conte familial demeurent d’actualité. La Presse a rencontré la réalisatrice et les deux acteurs principaux, Alex Dupras et Gaby Jourdain.

« Jules au pays d’Asha, c’est l’aboutissement d’un long processus de réflexion », indique, d’entrée de jeu, Sophie Farkas Bolla.

Une réflexion qui a débuté il y a une dizaine d’années alors qu’elle travaillait comme monteuse sur le documentaire Angry Inuk de la réalisatrice inuite Alethea Arnaquq-Baril.

« À l’époque, j’étais surprise de tout ce que j’apprenais [sur les autochtones]. Je ne comprenais pas pourquoi je n’avais pas appris ça à l’école », raconte-t-elle, en soulignant que la Commission de vérité et réconciliation suivait son cours au même moment.

Cet enjeu est devenu primordial à ses yeux.

« J’essayais de trouver une manière d’en parler de façon humaine aux enfants pour qu’ils ouvrent leur cœur l’un à l’autre, pour qu’une curiosité les amène à se parler et, éventuellement, à avancer ensemble pour un avenir plus inclusif. »

Ainsi sont nés les personnages de Jules et d’Asha qui, malgré leurs différences et la désapprobation de certains adultes, se lient d’amitié.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Alex Dupras et Gaby Jourdain

D’ailleurs, dans le film, à aucun moment les deux protagonistes ne jugent la culture de l’autre, souligne l’interprète de Jules, Alex Dupras. Pas de plaisanterie non plus sur la maladie de peau dont est atteint le jeune héros. Un exemple qu’on devrait suivre, pense le comédien âgé de 12 ans qu’on a pu voir dans Plan B.

Je crois qu’on devrait respecter les gens qui ne sont pas pareils comme nous. Ce qui serait bien, c’est que même les adultes aient un cœur d’enfant, parce que les enfants sont plus ouverts que les adultes.

Alex Dupras, qui incarne Jules

L’ouverture aux différentes cultures est aussi un élément que Gaby Jourdain aimerait que le public retienne du long métrage récompensé au Festival des films pour enfants de Montréal, en mars, et présenté dans différents festivals internationaux depuis.

« Dans les films, les séries ou les pubs […], on ne parle pas assez des autochtones », indique la jeune Innue âgée de 13 ans, qui n’avait aucune expérience comme comédienne avant le début du tournage.

Recherches dans les archives

Sophie Farkas Bolla, elle, trouvait non seulement important d’en parler, mais aussi de le faire de la manière la plus authentique et la plus véridique possible.

« Tout le contexte historique du film est inspiré de faits qui sont réellement arrivés dans la région d’Amos [en Abitibi-Témiscamingue] », souligne celle qui a coécrit le scénario avec Sarah Lalonde.

Pour ce faire, elle a fouillé les archives de la région. Toutefois, il y avait un problème : « La majorité des textes sont écrits du point de vue allochtone. Quand je cherchais sur la colonisation de l’Abitibi […], il n’y avait rien du point de vue anichinabé. »

La réalisatrice est donc allée à la rencontre des aînés de Pikogan pour connaître leur version de l’histoire.

J’ai vraiment pris mon temps. J’écoutais. Si quelque chose ne semblait pas tout à fait juste [dans le scénario], je le changeais.

Sophie Farkas Bolla, réalisatrice

Beaucoup de membres de cette communauté située près d’Amos ont d’ailleurs collaboré au projet, notamment comme acteurs.

L’héritage des Contes pour tous

Malgré les recherches effectuées, Jules au pays d’Asha n’est pas un film historique ou documentaire. C’est plutôt un conte familial dans lequel l’imaginaire et la magie occupent une place centrale.

Pourquoi la cinéaste a-t-elle voulu s’adresser à un public jeunesse ? « Je trouve qu’il y a tellement un émerveillement dans l’enfance. Comme adulte, j’essaie constamment de le retrouver », répond celle qui, par le passé, a réalisé des courts métrages pour ce même auditoire.

Et puis, il y avait aussi cette envie de créer une œuvre apparentée à celles qui ont bercé sa jeunesse.

« J’ai grandi avec les Contes pour tous. Chaque année, il y avait un nouveau film qui sortait. Je trouve que c’est une belle tradition qu’on a perdue », confie celle qui constate cependant un renouveau du cinéma jeunesse québécois depuis peu (pensons à Coco ferme ou à Pas d’chicane dans ma cabane).

Le regretté créateur de la populaire série, Rock Demers, a d’ailleurs été impliqué dans le projet de Jules au pays d’Asha à titre de producteur délégué. « Il nous a beaucoup aidés dans le processus de casting. […] Ç’a vraiment été très précieux », souligne Sophie Farkas Bolla.

Malheureusement, Rock Demers est mort une semaine avant le début du tournage.

« Il a été une étoile bienveillante pour nous tout le reste du projet », ajoute, émue, la réalisatrice.

En salle vendredi.

Plus qu’un film

À l’instar des films de la série Conte pour tous, Jules au pays d’Asha vivra non seulement sur grand écran, mais également à travers les pages d’un livre. « C’est Rock [Demers] qui en a eu l’idée », se réjouit Sophie Farkas Bolla. Écrit par Chloé Varin et illustré par Kaïa’tanó:ron Dumoulin Bush, le roman, publié chez Bayard, paraîtra au mois d’août. « Il va y avoir aussi une balado à l’automne ou au début de 2024. On va reparler de certaines thématiques du film », ajoute la cinéaste. D’ici là, pour souligner la sortie du long métrage, des fêtes estivales auront lieu dans une vingtaine de cinémas partout en province. Lors de ces évènements, une chasse au trésor précédera la projection.

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