Dans le film BlackBerry, qui raconte la montée en puissance et la chute vertigineuse du téléphone du même nom, Jay Baruchel incarne Mike Lazaridis, créateur de ce chef-d’œuvre technologique canadien. La Presse a rencontré le comédien qui a grandi à Montréal.

Première question : Jay Baruchel possédait-il un BlackBerry ? « J’en utilisais encore un il y a deux ans, répond-il sans hésiter. J’en ai acheté plusieurs modèles. J’adorais ces téléphones. Pour moi, c’était beaucoup plus intuitif et naturel de taper sur un clavier que sur un fucking écran. »

Notons que l’entrevue s’est déroulée en anglais afin d’obtenir les réponses les plus spontanées de Jay Baruchel, bien qu’il s’exprime avec aisance en français. Il a lancé des « fuck » et ses dérivés à quelques reprises. Nous les avons gardés. Il a aussi dit « sauce brune » au milieu d’une phrase en anglais. Nous y reviendrons.

L’acteur de 41 ans précise qu’une autre raison pour laquelle il était loyal à BlackBerry est parce qu’il s’agissait d’un produit canadien.

Cette fierté est présente tout au long du film de Matt Johnson (Operation Avalanche, The Dirties). Lorsque nous faisons part de notre observation à Jay Baruchel, et ajoutons que nous avons trouvé ce patriotisme inhérent au récit et pas du tout appuyé, il semble flatté.

« Nous voulions être authentiques envers nous-mêmes », souligne-t-il.

Il y a une sorte de mal culturel qui afflige le Canada anglais : on a cette habitude de se précensurer et de cacher notre réalité de peur d’aliéner les autres pays anglophones.

Jay Baruchel

« Laisse-moi te dire que les Américains n’en ont rien à foutre et les Britanniques non plus, ajoute-t-il. Plutôt que d’être authentique, on va faire des films qui se passent clairement au Canada, où l’on voit la tour du CN, mais les plaques d’immatriculation vont être du New Jersey ! On se tire dans le pied », explique avec passion et exaspération celui qui est aussi scénariste et réalisateur.

« Cette perception est l’une des choses qui nous unissent, Matt Johnson et moi, poursuit-il. Nous aimons notre pays, nous avons été élevés par des parents qui aiment leur pays et nous croyons que notre histoire mérite d’être racontée au cinéma. »

Inspirés de faits vécus… à Kitchener-Waterloo

Matt Johnson, qui incarne aussi Doug Fregin, ami de longue date et partenaire d’affaires de Mike Lazaridis, a écrit le scénario en compagnie de Matthew Miller (Surviving Crooked Lake) à partir du livre Losing the Signal : The Untold Story Behind the Extraordinary Rise and Spectacular Fall of BlackBerry, de Jacquie McNish et Sean Silcoff.

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Le réalisateur et coscénariste Matt Johnson incarne également Doug Fregin.

Comme c’est souvent le cas dans ce type d’œuvre, certaines parties de la réalité sont amplifiées, alors que d’autres sont écartées. Toutefois, la véritable saga de BlackBerry est tellement improbable que les nombreux rebondissements du long métrage de deux heures sont à peine exagérés.

« C’est une sorte de tragédie grecque à propos du choc entre l’entrepreneuriat canadien de bonne foi puis le capitalisme brutal, ce qui provoque inévitablement des fucking tensions », résume Jay Baruchel.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Jay Baruchel

C’est aussi une tragédie parce que BlackBerry est passé de près de la moitié des parts de marché à presque rien en moins d’un an, ce qui est complètement fou !

Jay Baruchel

Selon lui, un autre aspect intéressant de l’histoire de BlackBerry est l’appareil en tant que tel. « Parfois, en innovation, il y a des progrès qui entraînent un saut en avant dans le temps, comme quand Gutenberg a inventé l’imprimerie. Je crois que BlackBerry entre dans cette catégorie, estime celui qui a obtenu son premier rôle principal dans la série My Hometown, en 1996. La plupart des gens ne savent pas que la façon dont nous communiquons aujourd’hui est le résultat du travail de quelques nerds à Kitchener-Waterloo, en 1996. »

1996, une année significative pour les créateurs du BlackBerry et Jay Baruchel, joue un rôle important dans le film. Le récit se déroule sur une dizaine d’années et toute cette époque est habilement représentée.

« L’une des choses les plus cool du film, qui est comme du gravy ; de la sauce brune, pour moi, est qu’il soit une lettre d’amour à une période spécifique au Canada, de 1995 à 2005, indique l’acteur. Il y a la musique, les boutiques, les affiches, les vêtements... Je suis né en 1982 et j’ai terminé le secondaire en 1999. On ne voit jamais cette époque au cinéma ! Et si on la voit, c’est une version “parc d’attractions”. Pas la nôtre, ce n’est que la véritable époque. »

Le bon Lazaridis, le méchant Balsillie

Glenn Howerton tient le rôle de l’homme d’affaires Jim Balsillie. Sans ce dernier, le téléphone révolutionnaire créé par Mike Lazaridis et ses collègues de Research In Motion n’aurait peut-être jamais été vendu en magasin. Celui-ci a également été impliqué dans un scandale d’options d’achat d’actions qui l’a forcé à démissionner de son poste de président en 2007, en plus de payer des millions en amendes.

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Glenn Howerton dans la peau de Jim Balsillie

Dans BlackBerry, il est dépeint comme un homme froid, colérique et extrêmement ambitieux. « Quand j’ai vu le film, j’ai été confus pendant environ cinq minutes, puis je me suis dit : “OK, on nous cuisine. C’est une satire” », a-t-il raconté à La Presse Canadienne.

« Satire » est peut-être excessif, mais il est vrai que Jim Balsillie est en quelque sorte le « méchant » de l’histoire. Surtout en opposition à Mike Lazaridis, qui, sans être une victime – il a fait beaucoup d’argent –, est le genre de personne qu’on aime voir réussir.

« Matt Johnson et Matt Miller ont écrit le personnage pour que le public le trouve sympathique, mais je ne pouvais pas simplement le jouer de cette façon, confie Jay Baruchel. J’ai rencontré dans ma vie des gens qui ont des intentions nobles et je comprends ce que c’est d’exceller dans un domaine particulier. »

Mike Lazaridis est au téléphone intelligent ce que Jimi Hendrix est à la guitare.

Jay Baruchel

« Ce n’est pas juste un travail ou un passe-temps, c’est sa façon à lui de rendre le monde meilleur, ajoute-t-il. C’est normal de se ranger derrière ce type de personne. [...] L’autre gars [Jim Balsillie] n’a rien inventé d’exceptionnel, mais il a raison quand il dit que Mike est immature et qu’il ne sait pas comment gérer son entreprise. Mais lorsqu’on voit Mike, on rêve d’un monde dans lequel un génie comme lui devrait pouvoir réussir sans l’aide d’un requin. »

En salle le 12 mai.