Ari Aster était de passage à Montréal mardi afin de présenter Beau Is Afraid au public de la ville dans laquelle il a tourné son film, de même qu’à l’imposante – et excellente, dit-il – équipe locale ayant travaillé avec lui pour immortaliser sur grand écran cette comédie cauchemardesque mettant en vedette Joaquin Phoenix. Entretien.

Personne ne sera surpris d’apprendre que dès l’enfance, Ari Aster était passionné de cinéma de genre. Il faisait en outre partie de ces petits rusés qui, au vidéoclub, trouvaient le moyen de glisser un film d’horreur ou d’action destiné aux adultes entre des productions « pour tous ».

« J’étais obsédé par le cinéma, a confié le cinéaste de 36 ans au cours d’un entretien qu’il nous a accordé au milieu d’une journée très chargée. Les films qui m’excitaient le plus étaient les plus extrêmes, les plus provocants, les plus dérangeants. »

Je n’ai en tout cas jamais douté de ma vocation. D’aussi loin que je me souvienne, je ne me suis jamais vu faire autre chose que de la réalisation. Le cinéma a toujours été ma seule obsession.

Ari Aster

Souvent décrit comme le nouveau maître du cinéma d’horreur, Ari Aster a imposé son style dès Hereditary, son premier long métrage. Depuis Midsommar, il fait pratiquement l’objet d’un culte. S’il accepte volontiers les accolades des amateurs de films d’horreur, le cinéaste se voit plutôt comme un réalisateur de films de genre.

PHOTO TAKASHI SEIDA, FOURNIE PAR SPHÈRE FILMS

Joaquin Phoenix est la tête d’affiche de Beau Is Afraid (Beau a peur), un film d’Ari Aster.

« Avant de faire Hereditary, qui est un vrai film d’horreur, j’ai écrit plusieurs scénarios qui n’avaient rien à voir avec ce genre. En fait, j’ai écrit Hereditary parce que j’avais le sentiment qu’un film d’horreur pouvait plus facilement avoir le feu vert. À mes yeux, Midsommar est davantage une comédie noire. Et puis, je décrirais Beau Is Afraid comme une comédie cauchemardesque, parce que le récit emprunte la logique d’un cauchemar. Cette description est utile, je crois, parce que si, en tant que spectateur, tu ne t’ouvres pas à cette sorte de logique, tu vas probablement avoir de la difficulté à embarquer.

« Cela me convient d’être perçu comme un réalisateur de films d’horreur, mais je sais que cette étiquette s’appliquera plus difficilement à mes prochains projets. »

Un scénario remanié

La comédie cauchemardesque qu’est Beau Is Afraid relate pendant trois heures le cauchemar éveillé que vit le protagoniste, prénommé Beau (Joaquin Phoenix), au cours d’une suite d’évènements tous plus dramatiques les uns que les autres, lesquels se déroulent dans différents environnements.

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Beau Is Afraid (Beau a peur), d’Ari Aster, comporte aussi une partie faite en animation.

Au cœur d’un récit foisonnant divisé en plusieurs parties distinctes figure une relation pour le moins intense avec une mère castratrice (Patti Lupone), sur laquelle le poids de la culpabilité pèse tellement lourd que le fils en aura à répondre à un tribunal public.

Beau Is Afraid est le fruit d’une réécriture qu’Ari Aster a faite à partir d’un scénario pondu il y a près de 10 ans.

« La première version a été écrite avant celui de Hereditary, explique-t-il. En fait, Beau Is Afraid aurait dû être mon premier long métrage. Après Midsommar, l’idée m’est venue de la relire. J’ai trouvé le scénario encore amusant, mais d’autres idées me sont venues à la relecture. »

L’histoire, je l’espère, a maintenant gagné en profondeur. À l’époque où j’ai écrit la première version, qui aurait donné un film beaucoup plus court, ma seule préoccupation était de faire rire. Je n’aurais pas pu imaginer un long métrage d’une telle ampleur à ce moment.

Ari Aster

Joaquin Phoenix, qui s’investit toujours beaucoup dans ses rôles, a reçu un jour le scénario de Beau Is Afraid, accompagné d’une lettre dans laquelle Ari Aster exprimait toute son admiration pour l’acteur et son désir de travailler avec lui, sans vraiment plus d’explications.

« J’estimais que le scénario pouvait parler de lui-même, se rappelle le cinéaste. Nous avons ensuite discuté en visioconférence pendant plusieurs mois, Joaquin et moi, parce qu’il fallait d’abord apprendre à se connaître. Je n’ai pas écrit le scénario en pensant particulièrement à lui, mais, très tôt, l’idée qu’il puisse jouer Beau m’enthousiasmait. Je savais que c’était à lui que je proposerais le rôle en premier. »

Entièrement tourné à Montréal

Beau Is Afraid, dont l’endroit où se déroule l’intrigue n’est jamais précisé (mis à part une partie se déroulant dans une petite ville fictive) a aussi la particularité d’avoir été tourné entièrement à Montréal l’été dernier. Pourquoi le réalisateur américain a-t-il choisi la métropole québécoise comme lieu de tournage ?

PHOTO TAKASHI SEIDA, FOURNIE PAR SPHÈRE FILMS

Joaquin Phoenix et Ari Aster sur le plateau de Beau Is Afraid (Beau a peur).

« Il y a ici des incitatifs avantageux sur le plan économique, mais plusieurs endroits dans le monde offrent le même genre d’avantages. Il s’est avéré que Montréal était l’endroit où l’on nous donnait accès à toutes les ressources dont nous avions besoin. Des plans d’eau, un quartier de centre-ville, des banlieues, bref, nous pouvions trouver tout ça ici. Et puis, Pawel Pogorzelski, le directeur photo avec qui je travaille depuis toujours, vient de Montréal et a vécu ici la majeure partie de sa vie. »

Ce fut une grande expérience, avec d’excellentes équipes techniques. J’ai maintenant trois longs métrages à mon actif et je dois dire que Montréal est l’endroit où l’expérience de tournage fut la meilleure.

Ari Aster

Conscient que certains éléments peuvent déranger ou exaspérer, Ari Aster souhaite néanmoins que les spectateurs qui choisiront d’aller voir son nouveau film sortent ravis de leur expérience.

« Le but ultime est de proposer des choses qui, sur certains plans, peuvent nous sortir de notre confort, ajoute-t-il. J’essaie de le faire de façon convaincante et mémorable. »

Même si Beau Is Afraid est son œuvre la plus personnelle, Ari Aster ne voit pas le protagoniste comme une projection franche de lui-même. Et qu’on se rassure, la propre mère du cinéaste n’a strictement rien de la mère de Beau !

Beau Is Afraid (Beau a peur en version française) prendra l’affiche le 21 avril.