« Je m’en vais coller mes affiches ! », m’a dit Katherine Jerkovic à la fin de l’entrevue. Elle traînait un carton avec des affiches de son nouveau long métrage, Le coyote, qui sera projeté dès ce vendredi. Un film d’auteur, il va sans dire. Ceci expliquant cela.

Le deuxième long métrage de la cinéaste québécoise raconte l’histoire de Camilo, un Montréalais dans la cinquantaine d’origine mexicaine qui souhaite retrouver du travail comme chef après avoir dû fermer son restaurant, Le coyote, une décennie plus tôt. Il fait de l’entretien ménager la nuit et envoie des CV qui restent sans réponse.

On devine peu à peu les raisons de ses déboires lorsque sa fille toxicomane, avec qui il a rompu les liens, lui présente son petit-fils, dont il ignorait l’existence. Elle aimerait le lui confier pendant qu’elle se soigne. Or, il reçoit au même moment une proposition intéressante d’un restaurateur de La Malbaie.

C’est le genre de personnages que l’on voit encore trop peu dans notre cinéma. « Les personnages mexicains, en particulier dans notre cinéma, ce sont des travailleurs saisonniers, des gens pas très instruits », constate la cinéaste, dont la mère habite le Mexique depuis plusieurs années.

Les gens d’Amérique latine qui sont ici font toutes sortes de choses. J’en connais qui enseignent à l’université. Ce sont des gens intégrés, qui parlent le français.

Katherine Jerkovic, cinéaste

Lien avec le Québec

Le père de Katherine Jerkovic, né en Argentine de parents croates, a lui-même enseigné au département de sociologie de l’Université de Montréal. Les parents de la cinéaste, qui ont fui la dictature en Amérique du Sud, se sont séparés peu après la naissance de Katherine, à Moncton, où elle n’a vécu que brièvement. Elle a suivi sa mère uruguayenne en Belgique puis à Montevideo, qu’elle a quitté à 18 ans pour faire des études de cinéma à l’Université Concordia, à la fin des années 1990.

« J’ai toujours eu un lien avec le Québec parce que je venais visiter mon père à Montréal tous les ans, dit-elle. Le français a été la langue de ma première scolarité. »

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Scène du film Le coyote

Jorge Martinez Colorado, qui incarne Camilo, immigrant déchiré entre son avenir professionnel et ses nouvelles responsabilités de grand-père, a été révélé dans la série Le temps des framboises, de Philippe Falardeau... dans un rôle de travailleur mexicain saisonnier.

La réalisatrice sourit lorsque je lui fais la remarque. « Je trouve qu’à la télé, c’est mieux qu’au cinéma, dit-elle à propos de la diversité à l’écran. Il y a eu Amours d’occasion, d’Eva Kabuya, Dominos (de Zoé Pelchat), Je voudrais qu’on m’efface (d’Eric Piccoli). La télé a pris les devants. On y voit quelque chose de plus près de notre réalité. »

C’est vrai. Les titres qu’elle nomme, cela dit, sont ceux de webséries au rayonnement limité. Il faut chercher dans les sous-menus de Tou.tv la deuxième saison de Je voudrais qu’on m’efface pour la trouver (Jean-Nicolas Verreault y est particulièrement admirable de justesse).

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Scène du film Le coyote

Une réflexion sur la vie

Katherine Jerkovic ne se donne pas elle-même une mission de changer la représentation de certains groupes au cinéma. Elle parle de ce qu’elle connaît, comme la plupart des artistes. Elle a remporté en 2018 le prix du premier long métrage canadien au Festival international du film de Toronto (TIFF) pour Les routes en février. L’histoire d’une jeune photographe qui retourne en Uruguay revoir sa grand-mère, en faisant le deuil de son père et de son ancienne vie.

Le coyote, qui a aussi été sélectionné au TIFF en septembre dernier, a été présenté au Festival du nouveau cinéma à Montréal ainsi qu’en compétition au Festival de Santa Barbara, en Californie. Il a remporté le prix du meilleur film canadien du Festival de Whistler, où Jorge Martinez Colorado a obtenu celui de la meilleure interprétation masculine.

Le lien évident entre les deux longs métrages de Katherine Jerkovic est le rôle central qu’y tiennent des grands-parents récalcitrants. « Il y a aussi dans les deux films des gens partis pour de longues périodes qui reviennent dans leur famille et s’y sentent étrangers, remarque la cinéaste. Le coyote est moins autobiographique que Les routes. C’est moins un récit de la mélancolie de l’immigrant. »

Avait-elle en tête, en rendant compte d’une expérience de l’immigration au Québec, de sortir de certains carcans et clichés ?

La question de l’immigration n’était pas vraiment présente au départ. C’est en cours d’écriture que je me suis posé cette question-là.

Katherine Jerkovic, cinéaste

« Au début, c’était l’histoire d’un homme qui est à la croisée des chemins et qui vit un dilemme. Ce qu’il vit n’est pas rattaché à sa condition d’immigrant. Ça pourrait arriver à tout le monde », ajoute-t-elle.

Katherine Jerkovic décrit son film comme une réflexion sur la vie, avec tous ses imprévus et tout ce qui est indépendant de notre volonté. Des entraves qui nourrissent nos parcours respectifs, rappelle-t-elle.

Lucide, elle est consciente que Le coyote n’est pas un film populaire voué à un énorme succès commercial. « C’est une petite offrande, pour ceux qui veulent la prendre. Je voulais ouvrir un espace, prendre le temps de proposer quelque chose en dehors de la surcharge d’images, de péripéties et d’émotions. On essaie souvent de susciter une émotion vive, une réaction instantanée. Ce n’est pas une garantie que le film laisse une trace. Je suis un peu à contre-courant, comme d’autres dans le cinéma d’auteur », dit-elle en riant.

C’est dans ce cinéma à contre-courant que l’on découvre souvent les œuvres qui méritent notre attention.

Le coyote est actuellement en salle.