Dans le plus récent long métrage de Philippe Le Guay, inspiré d’une histoire véridique, François Cluzet prête ses traits à un individu dont les idées et les comportements donnent froid dans le dos. L’acteur n’a pourtant pas hésité avant de jouer un type qui, en plus d’être un négationniste de l’Holocauste, souscrit aux thèses conspirationnistes. Entretien.

À l’époque où L’enfer, de Claude Chabrol, a pris l’affiche, François Cluzet était déjà connu (notamment grâce à Round Midnight, de Bertrand Tavernier), mais il n’avait évidemment pas la même notoriété qu’aujourd’hui. Dans ce drame policier où il campait le mari jaloux d’une jeune femme (interprétée par Emmanuelle Béart), sa performance convaincante lui a, d’une certaine façon, collé à la peau pendant un moment.

« On a pensé que je pouvais être un psychopathe aussi dans la vie et on hésitait à m’engager à cause de ça, rappelle-t-il au cours d’un entretien en visioconférence. On trouvait que j’avais l’air dangereux, ce qui est quand même un compliment pour mon jeu ! »

Un personnage perfide

Près de 30 ans plus tard, celui que nous avons pu voir récemment dans La brigade (Louis-Julien Petit) a sauté sur l’occasion que lui a offerte le cinéaste Philippe Le Guay, avec qui il avait déjà tourné Normandie nue, de jouer un personnage perfide, monstrueux, qui met ses qualités personnelles au service d’idées parfaitement répréhensibles.

« Mais qui refuserait de jouer Richard III ? », demande François Cluzet.

PHOTO CAROLINE BOTTARO, FOURNIE PAR K-FILMS AMÉRIQUE

François Cluzet et Bérénice Bejo dans L’homme de la cave, un film de Philippe Le Guay

Ce rôle ne m’a pas fait peur du tout, au contraire. Je me suis plutôt senti comme un enfant devant un gâteau, car ce rôle est magnifique. Si les acteurs n’acceptent pas de représenter les monstres, personne ne le fera et on ne saura jamais comment ils pensent.

François Cluzet

Inspiré d’une histoire véridique survenue à un couple d’amis très proches du cinéaste, L’homme de la cave est un thriller ayant pour point de départ la vente d’une cave qu’un couple issu d’une famille juive, formé de Bérénice Bejo et Jérémie Renier, négocie avec un inconnu (François Cluzet). Cet inconnu dit vouloir déposer ses archives dans cet espace d’abord prévu pour y entreposer des choses. Mais l’homme, qui répand des idées négationnistes et conspirationnistes, s’installe pour y vivre et refuse de quitter les lieux.

Du 6e étage à la cave…

Connu pour des films beaucoup plus lumineux, Philippe Le Guay s’est cette fois lancé dans une histoire très sombre, qui ne pourrait être plus éloignée des Femmes du 6e étage ou de Molière à bicyclette.

« J’ai eu envie de changer de registre, a expliqué le cinéaste à La Presse. J’ai vraiment vu une situation de cinéma dans cette histoire qui a eu de graves répercussions dans la vie de mes amis. C’est arrivé il y a 20 ans, à une époque où le mot complotiste n’existait pas encore – on parlait plutôt de mensonge et de négationnisme –, mais cette histoire résonne encore plus fort aujourd’hui. Ces gens nous invitent continuellement à nous méfier de la vérité officielle, des historiens, des scientifiques, des médias, bref, ils sont prêts à détruire tous les instruments du savoir. Le personnage que joue François est d’ailleurs un champion de l’internet. »

À cet égard, l’acteur estime que le propos de L’homme de la cave ne pourrait être plus pertinent, particulièrement à une époque où des idées conspirationnistes sont même reprises par des politiciens.

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François Cluzet, Jérémie Renier et Bérénice Bejo dans L’homme de la cave, un film de Philippe Le Guay

En France, on assiste à une recrudescence de l’antisémitisme et du racisme, corroborés maintenant par certains candidats qui ne se gênent même plus pour exprimer des idées racistes.

François Cluzet

« J’ai trouvé fort intéressante cette proposition de rôle en ce moment, parce qu’il est utile de montrer comment fonctionnent les monstres, notamment ceux qui ne sont pas odieux en tout temps. Il y a des moments dans ce film où l’on se demande quelle est la vraie nature de ce type parce qu’il peut néanmoins être charmant et intelligent. Ce qui m’a plu dans ce travail est d’essayer de rendre ce personnage humain, d’éviter la caricature. »

Difficile à entendre

Faisant écho à une réalité difficile à voir et à entendre, L’homme de la cave n’a pas obtenu le succès escompté auprès du public français, ce qui, en passant, n’a guère étonné ses artisans.

« La vertu du cinéma est de divertir, dans le sens le plus noble du terme, indique François Cluzet. Maintenant, nous sommes davantage dans la distraction. Si tout allait bien, il n’y aurait que des drames au cinéma, mais là, comme tout va mal, les gens ont surtout envie de voir des comédies pour se distraire. C’est aussi pour ça que j’ai sauté sur ce rôle. Les occasions de jouer dans des films dramatiques sont plus rares en ce moment. »

L’homme de la cave prendra l’affiche le 16 décembre. Il est également offert sur la plateforme Crave.