Quarante-cinq ans après les évènements vécus entre le départ du Viêtnam et l’arrivée au Canada, Ru, récit de résilience de Kim Thúy, prend vie grâce aux talents combinés du scénariste Jacques Davidts et du réalisateur Charles-Olivier Michaud qui en ont préservé l’essence et la poésie.

Alors que ses petits frères Quôc (Olivier Dinh) et Duc (Xavier Nguyen) ont rapidement intégré le mode de vie nord-américain, Tinh (Chloé Djandji, touchante), timide Vietnamienne de 10 ans, parvient difficilement à s’adapter à sa terre d’accueil, ensevelie sous la neige, qu’elle découvre grâce à sa nouvelle amie, une adorable pipelette nommée Johanne (Mali Corbeil-Gauvreau, hilarante).

Chaleureusement accueillis à Granby par les parents de cette dernière, Lisette (Karine Vanasse) et Normand Girard (Patrice Robitaille), la mère et le père de Tinh, Nguyen (Chantal Thuy) et Minh (Jean Bui), sont contraints d’occuper des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés.

PHOTO FOURNIE PAR IMMINA FILMS

Jean Bui et Chantal Thuy dans Ru

Il aura fallu une trentaine d’années à Kim Thúy avant de pouvoir livrer par écrit ses souvenirs de jeunesse. C’est d’ailleurs grâce à son amie Karine Vanasse, qui lui avait offert un « joli carnet » au retour d’un voyage en Thaïlande, que l’avocate devenue restauratrice a trouvé une nouvelle vocation.

« J’y ai déposé des mots, des bribes, en commençant par la dernière page, sans savoir que c’était le début de Ru, le point de départ d’une grande aventure », confie-t-elle dans la nouvelle édition de luxe du livre paru à l’origine en 2009 chez Libre Expression.

Entre beauté et horreur

Délicat récit introspectif se déclinant en fragments, Ru transportait le lecteur de Saïgon à Granby en passant par la Malaisie, sur les traces d’une famille aisée fuyant son pays ravagé par la guerre dans l’espoir de trouver de meilleures conditions de vie au Canada. Afin de pouvoir rendre justice à ce récit de résilience narré, 30 ans plus tard, par Tinh, alter ego de la romancière, il fallait trouver un juste équilibre entre la beauté et l’horreur.

Cette mission, Jacques Davidts (coscénariste de Polytechnique, de Denis Villeneuve) et Charles-Olivier Michaud (Snow and Ashes) l’ont accomplie sans trahir l’essence du roman. Il faut également saluer la contribution de deux fidèles collaborateurs du cinéaste, le directeur photo Jean-François Lord, qui magnifie l’hiver québécois, et le compositeur Michel Corriveau, dont la bande sonore apaise comme une berceuse (ru signifie « berceuse » en vietnamien).

Respectant la structure du roman, Ru épouse parfaitement les méandres de la pensée de la narratrice traumatisée par la guerre, par la fuite périlleuse du Viêtnam sur une embarcation de fortune et par les conditions de vie insalubres du camp de réfugiés en Malaisie.

Fidèle à l’esprit de Kim Thúy, qui décrit avec pudeur et poésie ses souvenirs, Charles-Olivier Michaud fait cohabiter le passé et le présent de manière à faire surgir par magie la beauté dans les moments les plus terribles.

Privilégiant les gros plans du visage de sa mutique héroïne fixant la caméra, le réalisateur signe également d’émouvants plans d’ensemble, où chaque acteur joue sa partition avec naturel, notamment lors de la virée à la cabane à sucre du bienveillant grand-père de Johanne (Richard Fréchette). Le silence lourd des Girard constatant le courage et la dignité de leurs hôtes démontre avec puissance qu’à l’instar de quiconque n’ayant vécu la guerre et l’exil, les premiers ne mesureront jamais l’ampleur du danger encouru par ces derniers. Ni même des sacrifices qu’ils font pour l’avenir de leurs enfants.

La palme de la séquence la plus bouleversante revient toutefois à la suite de plans des personnages qui ont croisé la route de Tinh se tenant bien droit face à la caméra. Cristallisant les souvenirs de la résiliente Québécoise d’adoption, cette galerie de portraits évoquant un vieil album photo annonce de la plus belle manière qui soit la naissance d’une vocation littéraire.

En salle

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Ru

Drame

Ru

Charles-Olivier Michaud

Chloé Djandji, Chantal Nguyen, Jean Bui

1 h 56

7/10