Le septième art au Canada anglophone ne se limite pas seulement à David Cronenberg, à Atom Egoyan et à Guy Maddin. Il y a également Clement Virgo, qui poursuit son petit bonhomme de chemin depuis trois décennies. Avec Brother (33 tours), il vient de signer son meilleur film en carrière.

Se déroulant au courant des années 1990 dans le quartier de Scarborough de Toronto, le long métrage suit le destin de deux frères, fils d’immigrants originaires des Caraïbes. L’aîné Francis (Aaron Pierre) rêve de vivre de sa musique et fait pratiquement figure de père de remplacement au cadet Michael (Lamar Johnson). Mais rien n’est simple dans ce milieu marqué par la violence, la pauvreté et le racisme. Surtout depuis qu’une tragédie a frappé la famille, laissant la maman (Marsha Stephanie Blake) sens dessus dessous.

La magnifique première scène donne rapidement le ton au film. Les frangins se préparent à escalader un pylône électrique. Une tâche quasi insurmontable qui devient la métaphore de leur existence. Une seule erreur et c’est la mort assurée. Sauf qu’ensemble, main dans la main, rien n’est impossible.

Le récit adapté du roman de l’auteur canadien David Chariandy maintient ce fragile équilibre en oscillant constamment entre la brutalité du quotidien et la sensibilité de cette communauté qui se tient serré, de ces êtres qui aspirent à mieux. Un mélange d’émotions fortes qui est notamment décuplé par l’apport inestimable de la musique, salut salvateur du duo. La riche bande sonore prend assise dans la bouleversante reprise de Ne me quitte pas, de Jacques Brel, par Nina Simone.

La mort plane à l’horizon et elle entraîne un deuil non cicatrisé. Une façon d’exprimer cinématographiquement cette déroute est en fragmentant le temps, en multipliant les ellipses entre hier et aujourd’hui. Un peu plus et les fantômes se mêlent aux vivants, comme dans l’essai documentaire Cette maison, de la réalisatrice Miryam Charles. Un procédé complexe qui demeure limpide grâce à son montage impeccable et qui permet de mieux accéder à la psychologie des personnages.

PHOTO FOURNIE PAR ENTRACT FILMS

Lamar Johnson et Aaron Pierre dans Brother

Ces derniers sont interprétés par des acteurs épatants. Le tandem formé de Lamar Johnson (The Hate U Give) et d’Aaron Pierre (Old) fonctionne à plein régime. Le premier facilite l’empathie et l’identification du spectateur, tandis que le second se révèle l’âme et le cœur du projet. Quand ils sont réunis à l’écran, c’est pour mieux explorer toutes les subtilités de la famille, de l’identité et de la masculinité. La paire bénéficie de l’apport de la vétérante Marsha Stephanie Blake (When They See Us) et de Kiana Madeira (Fear Street), parfaite en amoureuse attentive.

Puis il y a l’élégante mise en scène stylisée de Clement Virgo (Rude), qui signe son retour au cinéma après son oubliable Poor Boy’s Game en 2007. Sa réalisation maîtrisée d’une vigueur peu commune utilise à bon escient la photographie somptueuse de Guy Godfree (Maudie), idéale pour électriser ce récit d’initiation somme toute classique, prévisible et un peu longuet, qui peut paraître trop écrit et qui prêche parfois par excès mélodramatiques.

Nulle trace de misérabilisme, heureusement. L’ensemble est plutôt forgé dans la nuance, dans ces tons de gris qui s’échappent du noir et blanc usuel, et qui atteint une forme d’universalité malgré quelques élans enrageants qui ne peuvent que rappeler l’assassinat de George Floyd.

Remarqué au Festival de Toronto et ayant obtenu pas moins de 14 sélections aux prix Écrans canadiens, Brother ne manque pas de puissance, n’évoquant rien de moins que les premiers efforts de Spike Lee et le grandiose Moonlight, de Barry Jenkins.

En salle en version originale anglaise et en version doublée en français

Consultez l’horaire du film
Brother 
(V. F. : 33 tours)

Drame

Brother
(V. F. : 33 tours)

Clement Virgo

Avec Lamar Johnson, Aaron Pierre, Marsha Stephanie Blake

1 h 59

7,5/10