Le cinéaste canadien Clement Virgo ne s’est jamais éloigné de ses thèmes de prédilection : l’immigration, l’histoire des personnes noires, la famille. Avec Brother, son premier long métrage en 15 ans, adapté du livre éponyme, Virgo ramène tous ces sujets au cœur d’une trame moderne, poétique et poignante.

« Je pense qu’une douzaine de films différents auraient pu être faits avec ce livre. Mais j’ai choisi une route très précise. » Cette route qu’a empruntée le réalisateur Clement Virgo a permis à Brother (33 tours, en version française) d’être cité 14 fois aux Canadian Screen Awards et d’obtenir une sélection dans le top 10 annuel du Festival international du film de Toronto en 2022.

Que raconte le film ? L’histoire est tirée du roman de l’auteur canadien David Chariandy, paru en 2017, et dépeint le parcours de deux frères d’ascendance jamaïcaine, Francis et Michael, qui grandissent dans un quartier difficile de Toronto dans les années 1990. Le premier, l’aîné, veut s’affranchir d’une vie qu’il n’a pas choisie. L’autre, le petit frère plus sensible et vulnérable, marche dans son ombre et le voit comme son modèle, tout en essayant de devenir lui-même. Une tragédie survient. Leur monde s’écroule.

« J’ai voulu faire un film sur la mémoire », dit Clement Virgo. Installé devant un mur orné d’affiches de films, dont celle de Moonlight, le cinéaste a une prestance qui en impose. Même à travers notre écran d’ordinateur, alors que nous l’interviewons en visioconférence. « On retrouve cette idée dans le livre et j’étais intéressé à faire un film qui aborderait le deuil, comme je l’ai senti en le lisant », poursuit-il, expliquant avoir été attiré en lisant le livre de Chariandy par les rapprochements qu’il a pu faire avec sa propre famille et par l’exploration de la vie de la classe ouvrière.

Voilà pour la trame narrative. Mais la façon dont l’histoire des deux frères est racontée, par des procédés cinématographiques bien précis, est aussi importante que le récit lui-même. Le réalisateur s’est efforcé de créer une tension, le sentiment d’une menace qui plane. « Je me suis servi des leçons des plus grands, comme Hitchcock ou même Roman Polanski, explique Clement Virgo. Avec la façon dont bouge la caméra, avec les silences, les sons. Je voulais qu’on ressente cette impression de danger. Et à travers tout ça, l’histoire se développe et on réalise que tout n’est pas ce qu’on s’imagine. »

Si cette description peut donner l’impression que Brother est un film froid, aux images lourdes, à l’ambiance terne, il n’en est rien.

Le film de Clement Virgo est empli de chaleur. Les plans sont poétiques. La lumière est exploitée afin de créer des tableaux en mouvement. Le cinéaste dépeint ses personnages avec une proximité qui nous conduit dans leur intimité.

Sans que Michael, que l’on voit le plus souvent à l’écran, prononce beaucoup de mots, on est près de sa psyché du début à la fin.

IMAGE FOURNIE PAR ENTRACT FILMS

Lamar Johnson et Aaron Pierre dans Brother

« Souvent, avec les histoires qui impliquent de jeunes personnes noires, on a l’impression qu’il faut que ce soit réaliste, dans le genre cinéma-vérité, presque filmé à la façon d’un documentaire, observe le cinéaste. Mais je voulais créer un monde beau et élégant, un monde contemplatif. Je n’étais pas intéressé à faire quelque chose de brut et de viscéral, mais plutôt à illustrer la tension derrière toute cette beauté. »

Montrer la réalité sans faire la leçon

Les frères Francis et Michael sont interprétés par le Britannique Aaron Pierre et le Canadien Lamar Johnson, que l’on a vu notamment dans The Hate U Give et The Last of Us. Leur mère, qui joue un rôle majeur dans le développement du récit, est incarnée par Marsha Stephanie Blake (When They See Us). Les deux acteurs principaux portent sur leurs épaules des rôles que Clement Virgo a souhaité éloigner des clichés. Il est question de violence policière, de racisme systémique. Mais ce n’est pas ce que Brother raconte.

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Marsha Stephanie Blake, au centre, dans Brother

« Je suis intéressé à parler de la vie des personnes noires, de l’humanité des personnes noires, dit-il. Mais je ne veux pas faire de sermon, prêcher auprès des gens pour leur faire la leçon. Je veux plutôt que les gens qui voient le film, s’ils ne sont pas Noirs, vivent l’expérience de ce que c’est. De ce que c’est quand quelqu’un comme Francis doit se déplacer dans le monde, face à la façon dont les gens le perçoivent, comment lui se perçoit. »

Je ne veux pas mettre l’accent sur le racisme ou me plaindre. Je veux montrer quelque chose qui permette aux gens de vraiment voir ces jeunes gens et de ressentir de l’empathie.

Clement Virgo

La démarche de Clement Virgo est claire. Elle l’est depuis ses tout débuts, notamment avec le film Rude, en 1995, présenté dans la section Un certain regard du Festival de Cannes. Déjà là, il abordait la vie de quartier d’enfants d’immigrants noirs au Canada. Les thèmes se recoupent, de la relation entre deux frères à l’importance de la musique en passant par la violence, toujours latente dans le cinéma de Virgo, mais bien réelle.

Son dernier film, Poor Boy’s Game, abordait les tensions raciales, la lutte des classes. Paru en 2007, il a précédé un long hiatus, durant lequel Clement Virgo s’est consacré à la télévision, collaborant à des séries comme The Get Down, de Baz Lurhman, Empire ou Dahmer, et réalisant aussi des projets comme The Book of Negroes, série acclamée parue en 2015.

Brother est un retour au cinéma pour le réalisateur. « Comme beaucoup de monde, je me suis demandé durant la pandémie ce que je voulais faire de mon temps, explique-t-il. J’avais envie de quelque chose d’extrêmement personnel, qui refléterait mes valeurs, qui refléterait la façon dont j’essaye de me comprendre moi-même et de comprendre d’où je viens. Je voulais honorer les gens qui m’ont mené où j’en suis. Et, surtout, faire un film qui célébrerait la vie des personnes noires. »

Brother sort en salle vendredi

Brother (V.F. 33 tours)

Drame

Brother (V.F. 33 tours)

Clement Virgo

Avec Lamar Johnson, Aaron Pierre et Marsha Stephanie Blake

1 h 59