À l’extérieur du monde hispanophone, Rodrigo Sorogoyen n’était pas encore très connu, bien qu’un de ses longs métrages, El reino, ait obtenu un certain rayonnement il y a cinq ans, et que Madre, réalisé l’année précédente, se soit retrouvé finaliste aux Oscars dans la catégorie du meilleur court métrage. As bestas, lancé l’an dernier au Festival de Cannes (dans la section Cannes Première), a bien entendu changé la donne.

Lauréat de neuf trophées Goya (les Oscars espagnols), ce thriller psychologique puissant a aussi obtenu un grand succès public en France, de même que, tout récemment, le César du meilleur film étranger là-bas.

Avant même l’apparition de la première image, on nous explique une technique ancestrale que pratiquent en Galice les aloitadores, sorte de dresseurs de chevaux qui s’engagent dans une espèce de corps à corps avec les bêtes. Qu’on nous montre ensuite au ralenti. Cette démonstration, comprendrons-nous plus tard, n’a rien de fortuit.

Marina Foïs et Denis Ménochet forment un couple de Français venus s’installer dans un petit village aride de Galice en Espagne, non loin de la frontière portugaise. Ils exploitent un potager dans lequel poussent des légumes bios, qu’ils vendent au marché local. Ils fondent l’espoir d’attirer éventuellement des touristes en rénovant de très vieux bâtiments abandonnés, histoire de redonner un peu de vitalité au village. En refusant par principe de signer un accord permettant l’installation d’éoliennes dans le secteur, Antoine et Olga soulèvent cependant l’ire de leurs voisins immédiats.

PHOTO LUCIA FARAIG, FOURNIE PAR AXIA FILMS

Marina Foïs dans As bestas

Plus qu’un simple film de genre

Xan (Luis Zahera) et son frère cadet Lorenzo (Diego Anido), qui comptaient sur l’argent qu’on leur aurait donné en compensation pour enfin quitter ce bled et se faire une vie plus agréable ailleurs, font tout ce qu’ils peuvent pour empoisonner l’existence du couple français. Harcèlement psychologique, blagues cruelles, opérations de sabotage et affrontements directs figurent au menu. Sans oublier cette xénophobie exprimée sans aucune gêne, laquelle pollue constamment l’atmosphère. Mais là où un cinéaste moins inspiré aurait pu se contenter de ce point de départ pour proposer simplement un bon film de genre, Rodrigo Sorogoyen creuse davantage.

Avec un sens de la mise en scène remarquable, le réalisateur, qui s’est inspiré d’un fait divers réel pour écrire le scénario avec Isabel Peña, sa collaboratrice habituelle, illustre la mécanique implacable d’une escalade irraisonnée.

Comme si des décennies de colère réprimée envers ceux qui se sont crus tout permis dans la région se cristallisaient d’un coup vers ce couple venu de l’étranger qui, en plus, ne fait rien comme tout le monde.

D’abord concentré sur le personnage qu’interprète – avec brio comme toujours – Denis Ménochet, le récit bifurque ensuite du côté d’Olga et des autres femmes impliquées dans cette histoire. Marina Foïs livre ici une grande performance, dont on retient à la fois le côté sec, ainsi que cette façon de transiger avec un monde auquel elle ne pourra jamais s’intégrer vraiment. Même s’ils alertent les autorités pour tenter de mettre fin au harcèlement dont ils font l’objet, Antoine et Olga savent aussi très bien de quel côté penchera la bienveillance des policiers. Si les acteurs français, qui jouent souvent en espagnol, se distinguent fortement, soulignons également la forte présence de Luis Zahera, impeccable dans le rôle du voisin ayant l’impression qu’on lui dérobe le tapis sous les pieds.

Jusqu’à la toute fin, Rodrigo Sorogoyen maintient son long métrage sous haute tension, autant au chapitre du suspense que dans les relations entre les personnages. L’arrivée de Marie (Marie Colomb), fille d’Antoine et d’Olga, viendra en outre relancer le récit vers d’autres thèmes, plus intimement familiaux.

À n’en pas douter, As bestas est l’un des films les plus forts que vous verrez cette année.

En salle

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As bestas

Thriller

As bestas

Rodrigo Sorogoyen

Avec Marina Foïs, Denis Ménochet, Luis Zahera

2 h 17

8,5/10