Im Westen nichts Neues (All Quiet on the Western Front), un film allemand de langue allemande, est en lice dans neuf catégories à la Soirée des Oscars, dimanche. Il a, selon notre critique Marc-André Lussier, de bonnes chances de remporter l’Oscar du meilleur film. Peut-on encore dire, dans les circonstances, que les Oscars sont trop américanocentristes, comme le croit notre chroniqueur Marc Cassivi ? Les deux Marc en débattent.

Marc Cassivi : Je sais qu’on ne s’entendra pas là-dessus, alors raison de plus pour en débattre. Je trouve les Oscars trop américanocentristes. Les Britanniques ont les BAFTA, les Français ont les César, qui récompensent leurs cinématographies nationales respectives. Les Academy Awards, en revanche, ne se présentent pas comme le gala du cinéma américain, mais comme le gala du cinéma tout court. Pour une majorité de gens, au Québec comme ailleurs, l’Oscar du meilleur film récompense le meilleur long métrage de l’année, toutes nationalités confondues. Et c’est presque toujours un film américain (ou du moins en anglais) qui gagne. Ça va de soi, dans la conception hégémonique des États-Unis. Ce n’est pas ma conception !

Marc-André Lussier : Ce gala n’est pas nécessairement celui du cinéma américain, je te l’accorde, mais je nuancerais quand même en précisant qu’il s’agit du gala du cinéma présenté aux États-Unis. Pour être admissible aux Oscars dans toutes les catégories, un long métrage, peu importe sa provenance, doit avoir tenu l’affiche dans une salle américaine pendant au moins une semaine. Moi, je trouve qu’au contraire, les Oscars accueillent bien davantage les autres cinématographies que toutes les autres cérémonies du même genre (les galas québécois et canadien n’ont même jamais eu de catégories pour les films étrangers), et ce, depuis très longtemps. En 1938, La grande illusion (Jean Renoir) était finaliste dans la catégorie du meilleur film. Depuis, huit films internationaux ont été retenus à la fois dans la catégorie du meilleur film international et du meilleur film de l’année, dont cinq au cours des dix dernières années. Ce n’est quand même pas si mal !

PHOTO JORDAN STRAUSS, INVISION, FOURNIE PAR ASSOCIATED PRESS

Jusqu’à ce jour, Bong Joon-ho, scénariste et réalisateur du film coréen Parasite, est le seul cinéaste pouvant se vanter d’avoir obtenu à la fois l’Oscar du meilleur film international et l’Oscar du meilleur film de l’année.

M. C. : Il y a une ambivalence là pour moi. Et un manque de cohérence. Ou bien les Oscars sont moins chauvins que les autres cérémonies de prix… mais seulement quand ça leur chante, ou bien ils se prennent pour LA cérémonie du cinéma mondial, et font très peu de place aux œuvres non anglophones. Parasite était le premier film dans une langue autre que l’anglais à remporter l’Oscar du meilleur film, il y a trois ans. Il n’y a eu que 13 finalistes non anglophones dans cette catégorie, dans toute l’histoire des Oscars. On parle de l’exception qui confirme la règle.

M-A. L. : On ne parle pas ici du Festival de Cannes non plus. Le mandat n’est pas du tout le même. On ne peut pas sélectionner aux Oscars des films qui n’ont pas été achetés par des distributeurs américains (les règles sont évidemment différentes dans la catégorie du meilleur film international). Cette année, Im Westen nichts Neues (All Quiet on the Western Front), un film allemand de langue allemande, est en lice dans neuf catégories. Drive My Car (Ryûsuke Hamaguchi) était nommé dans quatre catégories l’an dernier, Roma (Alfonso Cuarón) a été cité dix fois en 2019, Amour (Michael Haneke), cinq fois en 2013, sans oublier Parasite (Bong Joon-ho), nommé six fois, grand vainqueur en 2020. Ça fait quand même pas mal d’exceptions qui confirment la règle, non ?

M. C. : Bong Joon-ho lui-même a qualifié les Oscars de « très locaux ». Depuis 1929, il y a eu 94 gagnants de l’Oscar du meilleur film. Un seul n’était pas en anglais. Je comprends qu’il y a des règles qui restreignent le choix et que les choses changent. La moitié des nouveaux membres-votants ne sont pas américains. Ce qui renforce l’idée que les Oscars se considèrent comme le gala du cinéma mondial. Si c’est le cas, ils ont un énorme rattrapage à faire pour se défaire de leur américanocentrisme (et de leur anglocentrisme). Que l’Oscar du meilleur film international ait été jusqu’en 2020 l’Oscar du meilleur film en langue étrangère résume ce que je reproche aux Academy Awards. Il y a ce qui est en anglais, et ce qui est « étranger ». Et puisque tu les cites en exemple : l’an dernier, Drive My Car a perdu contre CODA, en 2019, Roma a perdu contre Green Book et en 2013, Amour a perdu contre Argo. I rest my case, comme disent les Anglos…

PHOTO MICHAEL GIBSON, FOURNIE PAR UNIVERSAL PICTURES CANADA

En lice dans deux catégories aux Oscars, dont celle du meilleur film, Women Talking, écrit et réalisé par la Canadienne Sarah Polley, n’est pas admissible pour les Écrans canadiens parce que son financement est américain.

M-A. L. : Moi, je le vois sous un autre angle. C’est plutôt le monde qui a fait des Oscars le gala le plus important du cinéma. À moins que je ne fasse erreur, les cérémonies des Grammy et des Emmy sont autant suivies à l’extérieur des frontières américaines et personne ne leur reproche de sélectionner seulement des œuvres et des séries de langue anglaise dans leurs catégories de pointe. Dans les cas spécifiques que nous citons, trois choses expliquent pourquoi l’Oscar du meilleur film a échappé à ces films. Premièrement, le système de vote préférentiel, instauré depuis que la catégorie compte dix candidats plutôt que cinq, fait en sorte qu’une production plus « consensuelle » obtient l’Oscar du meilleur film. Deuxièmement, plusieurs membres de l’Académie estiment qu’il est quand même curieux de voter pour un long métrage qui sera déjà célébré dans la catégorie du meilleur film international. Si j’avais eu à voter l’an dernier, j’aurais franchement été déchiré entre Drive My Car et The Power of the Dog. Troisièmement, la carte de membre de l’Académie ne vient pas toujours avec une garantie de bon goût…

M. C. : Là-dessus, on est bien d’accord !

M-A. L. : Bon. Nos positions sont réconciliables au moins là-dessus. Je terminerai quand même en disant que la cérémonie des Oscars, malgré ses nombreux défauts, reste à mes yeux la plus ouverte. Savais-tu que Women Talking, un film qu’on adore tous les deux, est complètement exclu des Écrans canadiens ? Même si Sarah Polley, icône du Canada anglais, en signe le scénario et la réalisation, son film n’est pas admissible parce qu’il ne comporte aucun financement canadien. Mettons que ça paraît mal…