Je ne pouvais pas terminer l’année 2023 sans revenir sur l’œuvre québécoise qui a le plus divisé le public et les critiques, Testament, de Denys Arcand.

Je vous ferai grâce d’une énième critique de ce film, me contentant de vous dire que je n’ai absolument pas boudé mon plaisir, distribuant en parts égales mes rires aux vieux péquistes grabataires, aux politiciens technocrates, aux jeunes militants en mal de causes, aux médias vautours, au milieu culturel superficiel et aux personnes âgées abruties par les technologies.

Au Québec, en France et au Canada anglais, le film d’Arcand a mis en opposition tous les groupes : les jeunes contre les vieux, les wokes contre les anti-wokes, la gauche contre la droite. J’ai adoré observer cette division, car d’elle ont émané des réflexions dans l’ensemble plutôt enrichissantes et des discussions parfois enlevantes.

Tout le monde avait une opinion sur ce film qui a engrangé des recettes de 1,8 million au Québec. Il y a même quelqu’un dans mon entourage qui m’a dit tout le mal qu’il pensait du film avant de me dire… qu’il n’irait pas le voir.

Et que dire de la couverture de presse qui en a découlé ? Du jamais-vu ! Tous les critiques et chroniqueurs du Québec se sont exprimés là-dessus. Il y a eu du blanc, du noir, rarement du gris.

Nommez-moi un livre, une pièce ou un film qui a réussi la même chose en 2023 au Québec ?

Celui qui possède suffisamment de Génies, de Césars et d’Iris – sans oublier un Oscar ! – pour garnir quelques manteaux de cheminée a donné des dizaines d’entrevues au sujet de son film. Bien sûr qu’on l’a cuisiné sur sa vision du wokisme et du révisionnisme culturel, deux sujets brûlants qui sont très présents dans le film.

Dans ses réponses, jamais je ne l’ai senti amer, catastrophiste ou nostalgique. Il a défendu ses idées sur le ton qui le caractérise depuis toujours, mi-sérieux, mi-badin, ponctuant comme il a l’habitude de le faire ses réponses de rires sonores.

Inlassablement, Arcand a répondu aux animateurs et aux journalistes en disant qu’il se demandait si le wokisme ne serait pas une « mode passagère », un peu comme le marxisme-léninisme, ou si c’est vraiment un changement de paradigme.

La question se pose, en effet. Et les créateurs doivent se la poser.

« Le mouvement woke n’est pas de gauche, mais vient d’un vieux fond religieux des États-Unis, qui adopte une position morale supérieure contre laquelle on ne peut pas lutter. Il y a les bons et les mauvais. C’est une orthodoxie qu’on ne peut plus questionner », a-t-il dit au Figaro Magazine, citant plus loin Talleyrand qui a déjà déclaré : « Tout ce qui est excessif est insignifiant. »

Dans plusieurs entrevues, le cinéaste de 82 ans a reconnu que « comme tous les vieux », il se demande « où on s’en va ». On ne peut pas reprocher à Arcand d’éviter de nommer les choses et d’être clair.

Les controverses et les divisions jalonnent le parcours de Denys Arcand. De Champlain à Testament, en passant par On est au coton, Le confort et l’indifférence et Duplessis, le cinéaste a estampillé ses œuvres d’une forte vision personnelle, que cela choque ou non.

N’attendez jamais Arcand là où vous souhaiteriez qu’il soit. Vous allez perdre votre temps.

Les thèmes qu’il aborde dans Testament marquent notre époque. Mais un sujet en particulier m’a interpellé. Comme il l’a fait dans d’autres films, Arcand utilise notre navrante paresse intellectuelle comme agent liant.

Il nous répète que nous nous contentons de peu, que nous brûlons les livres dans la plus extraordinaire insouciance et que notre manque de culture nous amène à mettre une couche de peinture blanche sur une fresque historique.

La paresse intellectuelle qu’expose Arcand est aussi celle qui nous fait croire aux fausses nouvelles ou qui nourrit les idées absurdes des complotistes.

Le personnage de Jean-Michel Bouchard, interprété par Rémy Girard, est un dinosaure qui traîne son pas pesant en se disant que tout ce qu’il a appris durant sa vie n’a plus aucune valeur. À quoi bon emmagasiner des connaissances, lire Aristote ou visiter des musées ?

En cette ère de « gros bon sens » (expression que je ne peux plus entendre), nous n’avons plus besoin de nous enrichir intellectuellement, car ChatGPT va s’en charger pour nous.

Les psychologues et les neurologues le reconnaissent : notre cerveau est, par nature, paresseux. À choisir entre une parade de vidéos insignifiantes sur TikTok ou la lecture d’un essai d’un médiéviste, il y a de fortes chances que nous choisissions la première option.

Cette dénonciation de la pauvreté culturelle de la part d’Arcand me comble de bonheur. Il a tellement raison quand il reprend les mots d’Einstein : « Deux choses sont infinies : l’univers et la bêtise humaine. »

Ce Denys Arcand, je souhaite le retrouver prochainement dans un autre film. Au début de sa tournée de promotion, il laissait la porte bien fermée sur l’idée d’un nouveau projet. Et plus les entrevues se multipliaient, plus on avait l’impression qu’il déverrouillait cette porte.

Je l’ai entendu récemment dire qu’un réalisateur qui fait des films après un certain âge risque moins, donc il jouit d’une plus grande liberté. Là-dessus, je crois qu’il ment un peu. Cet insaisissable renard n’a jamais eu peur de se frotter à la liberté d’expression. Et de bien vivre avec ses choix.

En 1986, alors qu’il vivait sa fringante quarantaine, Denys Arcand a été l’invité de Denise Bombardier à l’émission En tête. Il venait parler de son film Le déclin de l’empire américain qui triomphait partout. L’animatrice a qualifié l’œuvre de « film bilan » avant de lui demander ce qu’il pouvait faire après cela.

Il a répondu : « Maintenant, je vais me casser la gueule ! »

Il a dit ça en riant aux éclats !