Le regretté cinéaste iranien Abbas Kiarostami, lauréat d’une Palme d’or pour Le goût de la cerise, avait formulé une étrange réflexion sur son art, lors d’une entrevue en 2000. Il se disait ravi quand les cinéphiles trouvaient le sommeil en regardant ses œuvres.

C’est en 2023 que j’ai pu donner un sens à son énoncé surprenant. Mon travail, voyez-vous, qui consiste à garder un œil sur toute la planète pour échanger des idées, des analyses et des opinions avec vous, m’a fréquemment fait perdre le sommeil cette année. Parce que les évènements sur lesquels j’ai porté le regard ont souvent mis en relief le pire de ce que le monde a à offrir. Mais aussi parce que trouver les mots justes pour en parler est souvent ardu. Derrière chaque chronique, il y a des hésitations et des choix difficiles.

Qu’ai-je trouvé pour apaiser mes insomnies journalistiques ou m’alléger le cœur ? L’art, sous toutes ses formes.

Je vous propose donc une rétrospective de 2023 à travers les grands évènements internationaux qui l’ont marquée et les antidotes créatifs qui m’ont permis de retrouver un brin de sérénité.

PHOTO ROMAN PILIPEY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une femme regarde par la fenêtre de sa maison après une frappe russe sur la ville de Kyiv, en Ukraine, le 11 décembre.

La guerre russo-ukrainienne

L’année avait pourtant si bien commencé sur le front ukrainien. Attaqué de plein fouet par la Russie en 2022, le pays dirigé par Volodymyr Zelensky semblait en position de force au début de 2023. Les alliés se faisaient de plus en plus généreux. L’armée ukrainienne gagnait du terrain. En Russie, Vladimir Poutine était mis au défi par un de ses amis proches, Evguéni Prigojine, dans une mutinerie avortée. En cette fin d’année, cependant, le constat est bien différent. La contre-offensive ukrainienne piétine. On voit des fissures apparaître dans le leadership à Kyiv. Le soutien occidental – en particulier celui des États-Unis – s’essouffle. Imaginez, il est entre les mains du Congrès, une des organisations démocratiques les plus dysfonctionnelles de l’Occident !

Antidote : Pussy Riot

Pussy Riot a débarqué à Montréal comme un vent de révolte cet automne. Dans une exposition, toujours à l’affiche au Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) et dans un spectacle d’un soir au théâtre Rialto, les membres de ce collectif artistique russe condamné par le Kremlin m’ont rappelé que la dissidence est bien vivante et que la solidarité avec l’Ukraine a parfois un visage russe. Jouissif et bruyant. Parfait pour laisser sortir le méchant.

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PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le Niger a connu en août un coup d’État militaire, comme bon nombre de pays de la région ces dernières années.

Les coups d’État en Afrique

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’heure n’est pas à la stabilité dans la grande bande centrale du continent africain. Aux prises avec de la violence djihadiste, plusieurs pays du Sahel et des environs ont subi des coups d’État militaires au cours des trois dernières années. Après le Mali (2021), la Guinée (2021), le Soudan (2021), le Burkina Faso (2022), ce fut le tour cette année du Niger, dernier allié de l’Occident dans la région. La France et son système postcolonial ont été au cœur des récriminations, nourries en partie par de la propagande fabriquée à Moscou. Pas surprenant que la Russie et ses mercenaires à louer soient parmi les principaux bénéficiaires de ces évènements, y compris la guerre au Soudan, dans laquelle deux anciens alliés se tirent dessus et terrorisent la population.

PHOTO YANICK MACDONALD, FOURNIE PAR ESPACE GO

La comédienne Debbie Lynch-White incarne Marie dans Tremblements.

Antidote : Tremblements

On sort exténué de cette pièce de théâtre écrite par le Torontois Christopher Morris, que j’ai pu voir à l’Espace Go. La comédienne Debbie Lynch-White est Marie, une infirmière québécoise envoyée en Centrafrique par Médecins sans frontières. Elle en revient tourmentée, blessée, pleine de doutes sur sa présence de Blanche privilégiée au cœur de la misère humaine. On en tire néanmoins le constat que l’engagement international vaut beaucoup mieux que l’indifférence, même s’il ne nous laisse pas intacts.

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PHOTO OCTAVIO JONES, ARCHIVES REUTERS

L’ancien président des États-Unis Donald Trump

Les turpitudes de Donald Trump avec la justice

Arrivez-vous à suivre tous les rebondissements dans les nombreux procès en cours de l’ancien président des États-Unis ? Il est tantôt question de son rôle dans l’insurrection du 6 janvier 2021 contre le Capitole, de sa gestion de documents classifiés, d’un complot pour renverser l’élection de 2020, de diffamation et d’argent versé pour acheter le silence d’une vedette de la porno. Et malgré tout ça, il finit l’année largement en avance dans la course pour l’investiture républicaine. Que dire de plus ?

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le regretté Karl Tremblay, lors du concert des Cowboys Fringants sur les Plaines, le 17 juillet

Antidote : L’Amérique pleure, des Cowboys Fringants

J’étais parmi les chanceux qui ont pu assister au concert des Cowboys Fringants au Festival d’été de Québec sur les Plaines en juillet. Si la chanson L’Amérique pleure était d’actualité lors de sa création en 2020, elle est encore plus poignante aujourd’hui. « La question qu’j’me pose tout l’temps / Mais comment font tous ces gens / Pour croire encore en la vie / Dans cette hypocrisie ? », a chanté ce soir-là Karl Tremblay à près de 90 000 fans, cinq mois avant son grand départ. La ferveur avec laquelle la foule a chanté cet air ce soir-là a été un excellent médicament contre le cynisme.

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PHOTO ATTA KENARE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une femme faisant du chalandage dans une boutique de Téhéran, en Iran

La répression du Mouvement femme, vie, liberté en Iran

Si, l’an passé, nous avons été nombreux à saluer le courage des jeunes femmes qui ont été au cœur d’une immense révolte en Iran à la suite de la mort de Mahsa Amini, 22 ans, pour voile mal porté, nous avons été aussi nombreux à observer de loin la terrible répression qui a suivi cette année. Arrestations massives, condamnations hâtives et exécutions ont jeté d’immenses seaux d’eau froide sur la contestation, mais sans réussir à l’éteindre complètement.

IMAGE TIRÉE DE L’ŒUVRE DE RÉALITÉ VIRTUELLETHE FURY (2023), FOURNIE PAR PHI

Grâce à la réalité virtuelle, The Fury nous plonge dans la peau d’une prisonnière politique entourée de ses tourmenteurs.

Antidote : l’œuvre The Fury (La furie), de l’artiste Shirin Neshat au Centre Phi

Vivre l’horreur dans une prison iranienne et en vivre les conséquences, même en exil. Voilà le thème de l’installation multimédia de l’artiste iranienne que le Centre Phi, dans le Vieux-Montréal, a présentée cet automne. Grâce à la réalité virtuelle, on se retrouve notamment dans la peau d’une prisonnière politique entourée de ses tourmenteurs. La violence est suggérée plutôt que montrée. Notre empathie, elle, est sollicitée comme jamais. Après la visite/visionnement, les nouvelles d’Iran ne parlent plus à la tête, mais aux tripes.

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PHOTO ZAIN JAAFAR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des personnes constatent les dégâts causés à un immeuble du camp de réfugiés Nur Shams, en Cisjordanie, par un raid des forces israéliennes.

La guerre Israël-Hamas (octobre)

Depuis les attentats horribles du Hamas en Israël le 7 octobre et le début de la campagne militaire israélienne sans merci dans la bande de Gaza, la reprise du conflit au Proche-Orient prend toute la place. Et pour cause. La souffrance humaine est intenable. Pour une chroniqueuse, prendre position équivaut à marcher dans un champ miné. On doit rendre compte de ce qu’il se passe, malgré un accès limité aux sources à Gaza, remettre les faits dans leur contexte tout en gardant en tête le climat explosif dans lequel la guerre se déroule, au Proche-Orient comme ici. On ne dort pas sur ses deux oreilles, mais ce n’est rien par rapport à ce que vivent nos collègues et les civils en général qui sont pris dans le tourbillon destructeur des hostilités.

PHOTO DENIS GERMAIN, FOURNIE PAR L’ORCHESTRE MÉTROPOLITAIN

L’Orchestre Métropolitain et son chef Yannick Nézet-Séguin lors du concert de la symphonie Leningrad, en novembre

Antidote : la symphonie Leningrad

Le compositeur russe Dimitri Chostakovitch était un rusé qui cachait dans son travail des critiques politiques et sociales, nous a expliqué Yannick Nézet-Séguin avant de diriger l’Orchestre Métropolitain de Montréal dans son interprétation de la symphonie Leningrad à la mi-novembre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les musiciens affamés du Leningrad assiégé l’ont jouée en signe de défiance envers l’ennemi allemand. Aujourd’hui, cette symphonie dénonce l’autoritarisme et la cruauté sous toutes leurs formes. Cathartique, en cette triste fin d’année.

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