« Les wokes ont eu leur leçon ! », « La gauche bien-pensante a frappé un mur ! », « Les féministes ont trop poussé le bouchon ! », « Les studios vont recommencer à faire des films qui intéressent le vrai monde »…

Ça gloussait la semaine dernière dans les recoins les plus conservateurs et antiféministes des médias et des réseaux sociaux. The Marvels (Les Marvel), plus récent film de superhéros de la nébuleuse MCU (Marvel Cinematic Universe), a eu beau être en tête du box-office nord-américain, il a aussi connu le pire premier week-end de l’histoire des studios Marvel aux guichets : 47 millions US.

C’est beaucoup plus que bien d’autres films hollywoodiens, mais moins que les 32 films précédents du MCU en 15 ans, et bien loin de la somme de quelque 270 millions investie dans sa production.

Il n’en fallait pas plus pour que beaucoup se réjouissent des déboires de cet énième dérivé cinématographique des bandes dessinées de Marvel. Certains parce qu’ils en ont soupé des superhéros, d’autres parce qu’ils en ont assez de voir des femmes racisées en vedette dans des films d’action dont les rôles principaux étaient traditionnellement tenus par des hommes blancs.

« Get woke, go broke » (Soyez woke et faites faillite), a déclaré le populaire animateur de balado Tim Pool à ses 1,8 million d’abonnés sur X, en réaction aux débuts timides des Marvels. Sa formule a été reprise un peu partout dans les cercles conservateurs. Quantité de commentateurs de droite se sont aussitôt empressés de crier victoire sur les wokes de Marvel, dans leurs chaînes YouTube et ailleurs.

Le sexisme désinhibé et le racisme décomplexé ont bien sûr nourri certaines des attaques destinées à discréditer The Marvels, un film réalisé par une femme noire (Nia DaCosta), scénarisé par trois femmes et mettant en vedette un trio de femmes, dont une Afro-Américaine (Teyonah Parris) et une Canado-Pakistanaise (Iman Vellani).

Il fallait s’y attendre. C’est le ressac habituel créé par des « bros » et des « dudes » allergiques aux films de superhéroïnes, combiné au mépris de conservateurs pour les productions culturelles qui s’embarrassent trop – selon eux – de concepts comme la représentation de la diversité (ethnique, sexuelle, etc.). Disney, studio auquel appartient Marvel, est leur cible de choix depuis plusieurs mois.

PHOTO PHILIP CHEUNG, THE NEW YORK TIMES

Publicité de The Marvels à Hollywood

Ce ressac prévisible a sans doute été l’un des facteurs de la contre-performance aux guichets des Marvels. Mais il est loin de tout expliquer. « Un facteur, c’est la misogynie, mais il n’y a pas que ça », m’a résumé Fiston, avec qui j’ai vu The Marvels ainsi que les 32 autres films du MCU. Aparté : je ne suis pas sûr que je connaissais, à 17 ans, le mot « misogynie », et encore moins son sens.

Fiston a raison. C’est plus complexe que ça. Les anti-wokes, en somme, se donnent beaucoup d’importance. Le tsunami antiféministe qui avait précédé la sortie en salle de Captain Marvel, dont The Marvels est en quelque sorte la suite, avait démontré les limites du mouvement, en 2019. Le bombardement de mauvaises notes d’utilisateurs sur des sites tels Rotten Tomatoes n’avait pas empêché le film mettant en vedette Brie Larson d’engranger plus de 1 milliard de dollars de recettes dans le monde en 2019.

Si ce n’est le blocus masculiniste ou raciste fait au film, qu’est-ce qui explique le lent démarrage des Marvels ? Il s’explique en partie par l’impossibilité des actrices du film d’en faire la promotion en raison de la grève des acteurs hollywoodiens, qui a pris fin au moment où The Marvels prenait l’affiche.

Il y a aussi le fait que le marché du superhéros est saturé, notamment par le trop grand nombre de séries télé signées Marvel à avoir inondé la plateforme Disney+ depuis son lancement. Combien de personnages et d’univers parallèles peuvent cohabiter en une seule suite de films et de séries télé sans se répéter et donner l’impression que l’on étire la sauce ? On commence à avoir la réponse.

Il y a enfin le fait que The Marvels n’est pas un film incontournable du MCU, au même titre que la série des Avengers, même s’il est divertissant. C’est surtout l’archétype du film trop compliqué, qui témoigne d’un problème que Marvel a créé de toutes pièces. En complexifiant tout en diluant son univers cinématographique à coups de déclinaisons télévisuelles de ses films sur la plateforme Disney+, le MCU s’est tiré une balle dans le pied. Trop, c’est comme pas assez.

PHOTO FOURNIE PAR LES STUDIOS MARVEL

Flerkens flottant dans l’espace

J’ai beau avoir vu tous les films du MCU ainsi que les séries Ms. Marvel et WandaVision, dont sont issus les principaux personnages de The Marvels, j’ai tout de même perdu des bouts de l’intrigue. D’où viennent tous ces chatons extraterrestres ? Qui les a fait apparaître ?

Je veux bien accepter qu’à mon âge, mes capacités cognitives commencent à décliner. Mais si moi, qui ai toutes les clés pour comprendre, je n’arrive pas à saisir toutes les nuances – ou la logique ? – d’un film de superhéros qui passe sans cesse du drame à la comédie, voire à la comédie musicale, je soupçonne que je ne suis pas le seul.

Ce n’est pas parce qu’il est trop woke que The Marvels en a rebuté plusieurs. C’est parce que dans le multivers en constante expansion des studios Marvel, il devient de plus en plus compliqué de s’y retrouver.