S’il y a une expérience qui doit absolument être vécue dans une salle de cinéma, c’est bien celle du Rocky Horror Picture Show. Depuis près de 50 ans, le phénomène autour de ce film culte réalisé en 1975 par Jim Sharman refuse de mourir.

Pour ceux qui n’y connaissent rien, cette adaptation cinématographique d’une comédie musicale londonienne de Richard O’Brien, mettant notamment en vedette Tim Curry et Susan Sarandon, a été un bide à sa sortie, avant d’être rapidement l’objet d’une intense appropriation du public qui, au fil du temps, a ajouté des répliques en parallèle et des accessoires à projeter sur les spectateurs. Sans oublier qu’au Rocky Horror Picture Show, on arrive idéalement déguisés, comme les personnages du film ou comme on en a envie.

J’ai participé une ou deux fois au Rocky Horror Picture Show dans les années 1990, à chanter et à crier des obscénités en chœur avec les spectateurs, tout en recevant des toasts, des jets d’eau et des gants en plastique. Je n’en retiens que de la joie.

C’est un véritable défoulement collectif, un peu lubrique, mais surtout ludique.

Un bon souvenir qui a remonté à la surface quand j’ai su qu’il y aura six représentations du film au chic Cinéma Impérial les 26, 27 et 28 octobre, animées par Jordan Arseneault, artiste-activiste drag et MC, dont le nom de scène Peaches LePoz est bien connu du milieu queer montréalais.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Peaches LePoz (Jordan Arseneault), ici photographiée dans les studios Core Fabrics, anime les six représentations du Rocky Horror Picture Show au Cinéma Impérial.

Voyez un extrait du Rocky Horror Picture Show à Montréal il y a 10 ans 

Alors qu’on s’inquiète de la fréquentation des salles de cinéma depuis que les gens sont abonnés aux plateformes et accros aux séries, on constate que le Rocky Horror Picture Show est l’un des rares films, sinon le seul, à avoir créé ce phénomène immersif en Amérique du Nord. Jordan Arseneault fait remarquer avec raison que ça existe probablement bien plus à Bollywood, et pour sa part, la découverte s’est produite à son arrivée à Montréal.

« C’était un rituel étrange et intéressant que tout le monde voulait me montrer. J’ai vu comment le Rocky Horror Picture Show représente un ‟safe space” pour ceux qui ne sont pas des artistes de la scène et qui n’ont pas de scène. Quelque chose entre le rite de passage et l’atelier participatif, avec ce monde grotesque des années 1970 et de l’opéra rock. Le Rocky Horror Picture Show représente un moment particulier de la culture anglo-saxonne. »

En effet, car avec les récents débats enflammés sur les drags et les identités de genre, on se dit que le Rocky Horror Picture Show était à l’avant-garde, ou bien c’est notre époque qui a reculé. L’histoire raconte tout de même comment un couple hétéro très straight, victime d’une crevaison en voiture un soir de pluie, trouve refuge dans un manoir étrange où il découvrira le plaisir et la liberté au contact d’une joyeuse bande d’excentriques plutôt débridés qui suivent leur gourou, le docteur Frank-N-Furter.

« C’était une époque quand même assez radicale culturellement, où le plus important pour la culture progressiste d’avant-garde était de troubler le ‟mainstream”, explique Jordan Arseneault. C’était la même époque que Hosanna de Michel Tremblay, on brassait la cage. Le contexte du Rocky Horror, c’est un grand fuck you à toutes les représentations, ça se moque même de l’idée d’un film d’horreur. »

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Peaches LePoz (Jordan Arseneault)

C’est une blague grinçante à l’intérieur d’une blague grinçante, une perversion du cinéma qui embrasse le sournois manque de goût, parce que le goût est établi par les structures de pouvoir.

Jordan Arseneault, alias Peaches LePoz, qui animera le Rocky Horror Picture Show

« Le concept même des multiplex est détourné, car on est dans le contraire d’une salle avec des chaises qui bougent et des hot-dogs, et ce sentiment de vivre quelque chose avec des gens qui ne sont pas priés de se taire. C’est très joyeux, et ça explique pourquoi c’est devenu un rituel », poursuit Jordan.

Mais par son incarnation drag Peaches LePoz, très engagée socialement, Jordan tient à souligner que le Rocky Horror est un artefact culturel bien de son temps qui accuse un peu son âge, car le film contient des termes qu’on n’utilise plus aujourd’hui, comme celui de « travesti » – sauf qu’il est difficile de résister au charme de la chanson Sweet Transvestite (j’en suis incapable). Jordan note qu’à l’époque, on voulait surtout choquer et secouer les normes, tandis qu’aujourd’hui, la communauté est plus sensible aux enjeux de justice sociale. « J’ai l’impression que toutes mes amies drag queens sont appelées à devenir porte-parole ! »

Ce décalage du film, qui a toujours été décalé de toute façon, rejoint un peu la célèbre chanson Time Warp, car l’expérience du Rocky Horror Picture Show est de plus en plus un voyage tordu dans le temps. « Je trouve même que c’est très vintage de faire ça à l’Halloween », souligne l’artiste-activiste qui a malgré tout très hâte d’être l’hôtesse de ces folles soirées. Son rôle consistera à réchauffer et dérider le public, mais aussi à donner les instructions – on interdit maintenant le riz, car c’est une galère à nettoyer après. Mais pour le reste, cela demeure une fête de la transgression, ouverte à quiconque a envie de se transformer et, surtout, d’avoir du plaisir. « Je reviens toujours aux paroles de la chanson : Don’t dream it, be it ! », conseille chaleureusement Peaches LePoz.

Le Rocky Horror Picture Show au Cinéma Impérial les 26, 27 et 28 octobre à 19 h et à 23 h. Billets en vente sur le site officiel de l’évènement ou au guichet du Cinéma Impérial à partir de 17 h les soirs de représentation.

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