Wes Anderson inspire depuis toujours des débats sur la forme et le fond dans le cinéma. On l’accuse de privilégier « le style à la substance », pour calquer une expression populaire dans son Texas natal. Parce qu’il a une signature unique qui emprunte aux codes du théâtre. Parce que ses films racontent des histoires absurdes ou rocambolesques et que l’efficacité, la cohérence ou la crédibilité de l’intrigue ne semblent pas être pour lui des valeurs cardinales.

Les intrigues – et leur dénouement – ne sont pas ce qui m’intéresse le plus au cinéma. Ce n’est pas davantage le cas en littérature ; ce qui m’interpelle avant tout dans un roman, c’est son écriture. Ce qui m’intéresse surtout dans un film, c’est sa réalisation. La manière de raconter l’histoire, plus que l’histoire elle-même.

Certains vont voir des films pour leurs têtes d’affiche, leurs acteurs vedettes ou les personnages mythiques qu’ils incarnent. Pour moi, le cliché dit vrai : le cinéma est essentiellement l’art du metteur en scène. Or, trop souvent, pour des fins de financement par exemple, on résume un film à son scénario. Le cinéma n’est pas perceptible, noir sur blanc, dans un scénario. Il existe dans ce que le cinéaste imagine entre les lignes.

Wes Anderson a un humour pince-sans-rire très particulier, une façon de diriger les acteurs qui est singulière et un style de mise en scène inimitable.

C’est ce mariage de la forme et du fond qui le distingue de ses confrères et consœurs. On voit un plan et on sait que c’est du Wes Anderson.

C’est du reste ce qu’on se dit en découvrant les quatre moyens et courts métrages d’Anderson adaptés de nouvelles du célèbre écrivain britannique Roald Dahl, que Netflix dévoile progressivement à ses abonnés depuis mercredi. La plateforme numérique a fait l’acquisition en 2021 de la Roald Dahl Story Company, qui détient les droits d’adaptation de l’œuvre de l’écrivain, pour environ 1 milliard de dollars américains.

L’auteur de Charlie et la chocolaterie, roman jeunesse maintes fois porté à l’écran (Wonka, à l’affiche le 15 décembre et mettant en vedette Timothée Chalamet, en est un antépisode), a aussi signé Fantastic Mr. Fox, adapté en 2009 par Wes Anderson en fabuleux film d’animation.

Cette fois, Anderson s’intéresse à quatre nouvelles de Dahl, publiées dans les années 1970 et destinées à un public plus âgé (adolescent ou adulte) : La merveilleuse histoire de Henry Sugar, Le cygne, Le preneur de rats et Venin.

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

Benedict Cumberbatch et Ben Kingsley dans La merveilleuse histoire de Henry Sugar

Moyen métrage de 39 minutes, La merveilleuse histoire de Henry Sugar, présenté en primeur à la dernière Mostra de Venise, met en vedette Benedict Cumberbatch dans le rôle d’un richissime adepte de jeux de casino qui découvre la technique de méditation d’un homme originaire de l’Inde (Ben Kingsley) capable de voir sans ouvrir les yeux. Même à travers un jeu de cartes, ce qui peut s’avérer utile au blackjack…

Comme dans les trois courts métrages de la collection Roald Dahl, tous d’une durée de 17 minutes, Ralph Fiennes incarne l’écrivain disparu en 1990. Les quatre films ne sont ni plus ni moins des hommages à Dahl et à sa prose. Wes Anderson, qui tente d’adapter La merveilleuse histoire de Henry Sugar depuis des années, a choisi de rester le plus fidèle possible au texte, grâce à des personnages qui sont à la fois acteurs et narrateurs du récit.

Dans l’ensemble des films de la collection, la mise en scène est ce qui s’approche le plus du théâtre dans le cinéma déjà théâtral d’Anderson, grâce à des tableaux à l’esthétique très étudiée et à des décors minimalistes qui semblent tout droit sortis de livres en relief.

La direction artistique est, comme toujours chez Anderson, magnifique, avec les couleurs saturées et vives, ou au contraire délavées et terreuses, qui ont fait la réputation de son cinéma.

Sans bien sûr atteindre les sommets de The Grand Budapest Hotel ou The Royal Tenenbaums – on est dans un tout autre registre, plus artisanal –, le résultat est réjouissant. En grande partie grâce au ton uniformément décalé des acteurs, qui forment une troupe et réapparaissent dans les différents films.

Rupert Friend incarne notamment une victime d’intimidation dans le poétique et sordide Cygne. Ralph Fiennes joue à la fois Roald Dahl et un dératiseur qui a pris les traits d’un rat dans Le preneur de rats, qui a quasi des accents de film d’horreur. Richard Ayoade, par ailleurs l’animateur d’une hilarante émission télé de voyages (Travel Man), incarne plusieurs personnages dans différents films, avec le même visage impassible.

La signature de la mise en scène est, elle aussi, toujours la même. Celle, riche et originale, d’un des cinéastes les plus singuliers de son époque.

Sur Netflix