Il y a un peu moins d’un an, lorsque je l’ai rencontrée sur une terrasse cannoise animée et ensoleillée, Geneviève Albert avait la mine basse. La cinéaste montréalaise se demandait si son film, Noémie dit oui, unanimement plébiscité par la critique québécoise, aurait droit à une carrière européenne.

Les grands festivals privilégient les primeurs. Or, Noémie dit oui, une œuvre percutante sur la prostitution juvénile, avait été présenté en ouverture des Rendez-vous Québec Cinéma, à l’hiver 2022. Aussi, le film n’a pas été retenu par le Festival de Cannes après y avoir été présélectionné, et le même scénario s’est répété au Festival de Locarno.

Un an plus tard, la mine basse de la cinéaste a pourtant disparu. Et pour cause. Noémie dit oui prendra l’affiche en France le 26 avril sur pas moins de 250 écrans. Une sortie remarquable pour le premier long métrage dur et intimiste d’une cinéaste québécoise inconnue au bataillon, mettant en scène une distribution de jeunes acteurs tout aussi méconnus.

« L’engouement est vraiment exceptionnel. C’est très émouvant pour moi. C’est un petit miracle ! », me confie Geneviève Albert, dont la cinéphilie a été nourrie davantage à l’adolescence par les films français de François Truffaut et de Louis Malle que par le cinéma américain.

Exceptionnel est un mot bien choisi. Parmi les films québécois, il n’y a guère que ceux de Denys Arcand et de Xavier Dolan qui ont eu droit à des sorties plus importantes que celle de Noémie dit oui. En comparaison, J’ai tué ma mère de Xavier Dolan avait été distribué dans une soixantaine de salles après un baptême cannois très remarqué en 2009. La femme de mon frère de Monia Chokri, un autre premier long métrage québécois primé à Cannes, avait de son côté pris l’affiche sur 130 écrans en 2019.

Les invasions barbares de Denys Arcand, plus grand succès populaire d’un film québécois en France, est sorti en 2003 sur quelque 400 écrans, un record pour un film québécois, dans la foulée de son sacre cannois. L’âge des ténèbres, du même cinéaste, avait pris l’affiche sur 260 écrans quatre ans plus tard. Mommy de Xavier Dolan, qui a accumulé plus d’un million d’entrées en France, avait pris l’affiche sur 315 écrans après avoir été pressenti pour la Palme d’or.

Comment Geneviève Albert explique-t-elle que son film, qui n’a pas été sélectionné dans les plus grands festivals européens, suscite autant d’intérêt en France ?

« Deux prix au Festival d’Angoulême, ça compte en France », précise la cinéaste, jointe à Toronto, où Noémie dit oui est finaliste dans deux catégories, jeudi soir, au gala des Prix Écrans canadiens (meilleure interprétation dans un premier rôle pour Kelly Depeault et meilleur premier long métrage). « C’est un festival important pour le milieu du cinéma français, qui arrive juste avant les grandes sorties de l’automne. »

Geneviève Albert a surtout la chance, dit-elle, de compter sur un petit distributeur très investi qui croit énormément en son film. Jonathan Musset (Wayna Pitch) avait auparavant distribué sur une cinquantaine d’écrans français Une colonie de la Québécoise Geneviève Dulude-De Celles, qui met en vedette Émilie Bierre. « Il n’est manifestement pas le seul à y croire, parce que beaucoup de salles en France ont décidé de le suivre. Il y a vraiment un engouement pour Noémie dit oui. »

Le film, offert au Québec sur Crave, raconte une semaine dans la vie de Noémie, 15 ans, qui après avoir fugué d’un centre jeunesse, est recrutée comme escorte par un beau parleur proxénète, le temps du Grand Prix de Montréal. Kelly Depeault, révélée par La déesse des mouches à feu d’Anaïs Barbeau-Lavalette, est émouvante de colère et de fragilité dans le rôle principal. Geneviève Albert nous rappelle constamment, par les détails subtils de sa mise en scène, que Noémie est avant tout une enfant qui a été rejetée par sa mère.

Depuis que Noémie dit oui a remporté deux prix au Festival du film canadien de Dieppe à la fin de mars (meilleur film et meilleure interprétation féminine), Geneviève Albert accompagne son film un peu partout dans l’Hexagone à l’occasion d’avant-premières. Il y en aura dans plus de 80 villes françaises d’ici la sortie du film, dans deux semaines.

« Je devrais être sur place dans environ 25 villes pour rencontrer le public et les médias français », précise la cinéaste, qui a assisté à l’avant-première parisienne de son film, lundi au UGC Les Halles – le plus grand complexe de cinéma en Europe – et sera samedi au mythique Grand Rex de Paris, où Noémie dit oui est présenté dans le cadre du festival Cinéma For Change.

Je lui dis que le public français s’intéresse peut-être à l’image sans fard de la prostitution qu’elle présente, contrairement à celle souvent romancée ou esthétisée du cinéma français, de Belle de jour à Jeune et jolie.

« Je pense que tu as raison. En France, on a porté la prostitution à l’écran de façon glamour. Noémie n’emprunte pas du tout cette approche esthétique. Je me suis fait dire à plusieurs reprises en France : on attendait ce film ! »

Un an après avoir pris l’affiche à Montréal, en marge du circuit des festivals plus prestigieux, le film de Geneviève Albert a su se tailler une place dans différents festivals européens et latino-américains. Il sera bientôt présenté aux États-Unis. « Je suis très contente d’avoir pu accompagner le film pour rencontrer le public, d’autres cinéastes, des programmateurs de festivals, des producteurs, dit-elle. Et je suis agréablement surprise et rassurée que les films puissent avoir une vie sans passer par les plus grands festivals. »

La déception que je lisais sur son visage à Cannes en mai dernier n’est plus qu’un souvenir dont elle peut désormais rire. Son film a emprunté une autre trajectoire. Et quelle trajectoire !

Noémie dit oui est offert sur Crave