Dimanche soir à la cérémonie des Oscars, on était loin du gros malaise causé par la gifle de Will Smith à Chris Rock l’an dernier. Ce qui ne l’avait pas empêché d’aller chercher la statuette du meilleur acteur pour sa performance dans La méthode Williams où il incarnait le père des célèbres joueuses de tennis Venus et Serena.

Non, l’heure était à l’hommage aux mamans, qui ont reçu toutes les fleurs tandis que les papas, sans forcément recevoir le pot, brillaient par leur absence dans les discours de remerciement. De Ke Huy Quan, lauréat du meilleur acteur dans un second rôle, qui a brandi en larmes son trophée en disant : « Maman, j’ai gagné un Oscar ! » aux réalisateurs Daniel Kwan et Daniel Scheinert d’Everything Everywhere All at Once (Tout, partout, tout à la fois) qui ont dédié leur récompense à « toutes les mamans du monde » en passant par Michelle Yeoh, première femme asiatique à remporter l’Oscar de la meilleure actrice, qui a elle aussi remercié sa mère la regardant triompher de la Malaisie, l’amour maternel était sur toutes les lèvres. « Parce qu’elles sont les vrais superhéros et que sans elles, aucun de nous ne serait ici ce soir », a souligné Michelle Yeoh.

Pourquoi si peu de remerciements sont-ils allés aux pères ? Est-ce parce que beaucoup brillent par leur absence aussi dans la vie de leurs enfants (ou dans leur vocation) ou simplement parce que c’était l’un des grands thèmes de la soirée, qu’on aurait dit incarné par Rihanna, superbement enceinte ?

PHOTO CHRIS PIZZELLO, INVISION, FOURNIE PAR ASSOCIATED PRESS

Rihanna, enceinte, a chanté Lift Me Up sur la scène des Oscars.

Sur Facebook, l’auteur et parolier Pierre Huet a remarqué cette absence : « Ma petite tristesse toute personnelle. Il a fallu l’ultime gagnant, soit le producteur du meilleur film, pour que quelqu’un remercie son père. Avant ça, plus d’une dizaine de remerciements par des acteurs, actrices ou techniciens à leurs mères. Ma vie n’aura pas servi à grand-chose si un jour mes filles ne sentent pas le besoin de me remercier. »

Ma théorie toute personnelle, mon deux cennes si vous voulez, est que nous étions dans une cérémonie qui récompense des artistes et des artisans. Et que les pères d’autrefois ne sont peut-être pas ceux qui encourageaient le plus leurs enfants dans une carrière artistique. Si vous avez grandi avec un père traditionnel, il y a de fortes chances qu’il ait plus poussé pour que vous excelliez dans le sport, comme celui des sœurs Williams.

Est-ce à dire que les femmes sont plus sensibles aux arts ? Chez nous, quand on regardait un film, ma mère était la pleureuse en chef, absolument incapable de contrôle, tandis que je n’ai jamais vu mon père pleurer une seule fois dans sa vie. Même Steven Spielberg, en nomination pour The Fabelmans, rendait hommage à la sensibilité artistique de sa mère cette année…

PHOTO PATRICK T. FALLON, AGENCE FRANCE-PRESSE

« Maman, j’ai gagné un Oscar ! », a lancé Ke Huy Quan dimanche.

Au Québec en tout cas, les études ont démontré que ce sont plus elles qui lisent, qui vont au musée et au théâtre (en traînant parfois le mari) et qui regardent les téléromans. Malgré cela, le poids médiatique du hockey comparé à la couverture de tous les arts réunis reste pesant, ce qui est révélateur.

Il y a aussi que les mères ont cette tendance à célébrer outrageusement les moindres réussites de leurs enfants ; de la petite étoile dans un cahier de la maternelle jusqu’à la statuette d’un Oscar, je pense que leur degré de fierté reste le même. Parfois, les mères ont une foi en nous démesurée, comme dans le roman La promesse de l’aube de Romain Gary, quand elle crie à son fils mortifié devant tous les autres gars de l’armée de l’air : « Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es ! » Le plus fascinant est que Romain Gary est pratiquement devenu tout ça, comme pour venger sa mère immigrante des déceptions et humiliations de sa vie.

Hollywood étant le boulevard des rêves brisés, comme on sait, où il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus, encore plus si vous n’êtes pas Blanc – Oscars so white, reproche-t-on depuis quelques années –, comment ne pas voir aussi, dans cette soirée où la diversité était à l’honneur, la revanche des enfants d’immigrants dont les mères ont vu leurs rêves de jeunes filles brisés pour permettre le rêve américain à la prochaine génération ? La blague que j’ai le plus entendue provenant d’humoristes dont les parents sont immigrants est qu’ils pratiquent leur art en cachette, plutôt que d’étudier le droit ou la médecine…

Bref, il y avait dimanche de quoi faire vibrer tout, partout, tout à la fois bien des gens qui doivent beaucoup à leurs mères.