« Si on allait de l’avant, on se serait retrouvées en burnout. Et en faillite. Je ne vois pas en quoi ça aurait aidé qui que ce soit. »

La metteure en scène Isabelle Bartkowiak est formelle : devant le manque de soutien du CAC et du CALQ, il n’y avait pas d’autres solutions possibles que d’annuler la pièce Iphigénie à Pointe-aux, dont les premières représentations étaient prévues fin novembre dans la salle intime du Théâtre Prospero.

Le projet était pourtant bien amorcé. Grâce à une petite bourse en recherche et création du Conseil des arts de Montréal, la dramaturge Alice Tixidre avait déjà pu traduire le texte du Gallois Gary Owen et l’avait adapté à la réalité québécoise. Les cinq interprètes étaient choisies. « Ça faisait deux ans qu’on travaillait sur le projet », lance la traductrice.

Les deux trentenaires ont su au début de l’hiver dernier que le Prospero leur ferait une place dans leur programmation 2023-2024. Elles se sont alors lancées dans les demandes de soutien auprès des bailleurs de fonds. « Il faut un engagement d’un lieu de diffusion avant de faire une demande de soutien en production, explique Isabelle Bartkowiak. On s’est lancées dans la rédaction des demandes au milieu de tous nos autres projets. Remplir les documents exige un gros mois de travail. C’est fastidieux. Et on n’est pas rétribué pour ça… » « Quand ton revenu et celui de tes coéquipiers dépendent de tes dossiers, admettons que tu ne fais jamais au grand jamais ça à la va-vite », lance Alice Tixidre.

La réponse négative du CAC est arrivée en août dernier et celle du Conseil des arts et des lettres du Québec est arrivée en octobre, soit quatre mois après le dépôt de la demande et un mois et demi avant la première. Le temps manquait pour trouver un plan B. « On a même pensé faire une campagne de sociofinancement », dit Isabelle Bartkowiak.

Les interprètes étaient prêtes à jouer gratuitement. Elles disaient qu’elles allaient faire comme si la pièce était un projet d’études. Mais elles ne sont plus aux études ! En plus, la pièce porte sur l’exploitation des femmes… Il y aurait eu une grande dichotomie entre ce qu’on prône et ce qu’on fait.

La metteure en scène Isabelle Bartkowiak

Elle ajoute : « J’en ai fait, des spectacles à mes frais, à mes débuts en 2013. Mon loyer me coûtait 250 $ par mois ! Avec l’inflation, je ne peux plus être payée 13 $ l’heure. »

« Si on fait ce qu’on fait, c’est qu’on pense qu’une œuvre peut changer des vies, poursuit Alice Tixidre. On a tous été touchés à un moment donné par quelque chose de grand. C’est que d’une certaine manière, ça nous a sauvé. On pense que l’art, c’est souvent ce qui nous sauve de l’ennui, de la détresse, de l’aphasie. »

Malgré ces déboires, les deux créatrices ont bon espoir de pouvoir reprendre le spectacle dans un avenir rapproché au Prospero. La direction du théâtre a d’ailleurs expliqué chercher des solutions pour présenter la pièce la saison prochaine. Le spectacle suivant créé par les deux femmes, Clytemnestre, prévu à l’origine pour 2025, sera toutefois repoussé. Elles ne savent pas à quel moment.