La première compagnie de théâtre féministe de l’histoire du Québec, le Théâtre des cuisines, est au cœur d’un nouveau documentaire sonore. Discussion avec Jenny Cartwright, réalisatrice de Nous sortirons de nos cuisines, un projet en quatre actes de 60 minutes chacun.

Pourquoi vous intéresser au Théâtre des cuisines ?

« J’ai découvert le Théâtre des cuisines en 2019, en réalisant mon premier documentaire sonore, Debouttes !, qui portait sur le Front de libération des femmes du Québec, premier groupe féministe radical de la province. Or, ces groupes étaient des vases communicants. Véronique O’Leary, qui faisait partie du FLF, était aussi une des fondatrices du Théâtre des cuisines, la première troupe de théâtre féministe québécoise, créée en 1973. Je me suis intéressée à l’histoire de ce théâtre comme aux militantes qui en faisaient partie et qui participaient aux luttes sociales du Québec.

« Petite anecdote : pendant mes études secondaires, la crise d’Octobre n’a jamais été abordée dans mes cours d’histoire. C’est un évènement que j’ai découvert au cégep, pendant mes études en cinéma, lorsque j’ai vu Les ordres. Ç’a été un déclencheur. À partir de ce moment, je me suis demandé ce qui manquait à nos livres d’histoire. Et souvent, c’est l’histoire des femmes qui est mise de côté, effacée. »

C’est toute l’histoire du féminisme au Québec qui est abordée dans Nous sortirons de nos cuisines ?

« Le documentaire sonore trace en filigrane l’évolution des luttes féministes au Québec. Il est question de l’accès à l’avortement, de la commission Bird, de l’analyse socio-économique de la ménagère, de la rémunération du travail ménager, de l’année de la femme, des tensions avec les lesbiennes, de la charge mentale. Certaines luttes ont été déterminantes pour tout le monde au Québec, comme c’est le cas pour l’avortement. D’autres sujets, qu’on connaît moins, ont déchiré les féministes, comme le fait de rémunérer les femmes pour qu’elles restent au foyer.

Plus on avance dans l’histoire du Théâtre des cuisines, plus on avance dans celle du mouvement féministe au Québec. L’histoire du Québec est très présente dans ce documentaire.

Jenny Cartwright

Quelles sont les sources qui vous ont inspirée pour ce documentaire ?

« D’abord, j’ai fait des rencontres merveilleuses avec quatre femmes du Théâtre des cuisines, Véronique O’Leary, Carole Fréchette, Solange Collin et Johanne Doré. Mme O’Leary m’a reçue pendant quatre jours chez elle, au Bic, pour me raconter toute l’histoire du théâtre et du militantisme qui l’accompagnait. Elle fait encore des projets sous la bannière du Théâtre des cuisines, même si la compagnie n’est plus ce qu’elle était dans les années 1970.

« J’ai ensuite voulu faire découvrir des pièces emblématiques de la troupe, dont Nous aurons les enfants que nous voulons et Môman travaille pas, a trop d’ouvrage !, qui sont interprétées par huit actrices d’aujourd’hui. J’ai trouvé aussi des archives radio, notamment de la pièce Les fées ont soif, lorsque Pauline Julien l’a rejouée sous la bannière du Théâtre des cuisines. Il y a aussi des chansons emblématiques de l’époque, de la conception sonore et de la narration, faite par Elkahna Talbi. »

Pourquoi présenter ce documentaire sous forme audio ?

« L’audio a un pouvoir évocateur qui ressemble beaucoup à celui de la littérature. Un seul sens est sollicité et la vue peut prendre congé pour laisser la place à l’imagination. De plus, la liberté de format est extraordinaire. Ça me permet d’offrir quatre heures de contenu, ce qui n’aurait pas été possible autrement. Et il est plus facile de recréer des évènements historiques avec des sons qu’avec des images. »

C’est aussi un geste féministe de faire du documentaire sonore, car les femmes sont souvent ramenées à leur apparence. Or, ces femmes qui ont eu peu de tribunes dans leur vie peuvent enfin s’exprimer et c’est leur parole qui va prendre toute la place. C’est aussi un clin d’œil à la tradition des radio-théâtres dont il reste peu de traces, car au Québec, on n’est pas très doués avec nos archives.

Le mouvement féministe reste un de vos sujets de prédilection. Pourquoi ?

« J’ai grandi avec une mère de famille monoparentale qui était infirmière. Je pense que c’est évident que j’allais virer féministe rapidement ! Les féministes sont des inspirations. Je crois fermement qu’on pourrait faire mieux comme société que notre capitalisme chambranlant. On travaille trop, on vit sur fond d’inflation galopante dans une pandémie qui ne finit jamais. Ces femmes me permettent de rêver plus grand que ce qu’on a en ce moment. »

Nous sortirons de nos cuisines est offert à compter du 16 mars sur les plateformes SoundCloud et Apple Podcast. Des écoutes publiques seront aussi proposées du 16 au 19 mars au Cinéma Public à Montréal et le 27 mars au Cinéma Beaumont à Québec.

Consultez le compte Instagram de Jenny Cartwright