Fascinante interprète de Phèdre et des classiques, muse de Patrice Chéreau au cinéma et au théâtre, Dominique Blanc joue pour la première fois de sa carrière à Montréal. La Presse est allée à sa rencontre jeudi après-midi dans son hôtel du centre-ville.

Dominique Blanc est en ville pour jouer La douleur, de Marguerite Duras, un spectacle solo qu’elle assure un peu partout en Europe depuis 16 ans. La sociétaire de la Comédie-Française, couronnée de prix, est un monument au panthéon des interprètes en France. C’est de la grande visite ! Malheureusement, le spectacle est complet, mais on peut mettre son nom sur une liste d’attente de l’Usine C.

Écrit entre 1945 et 1949, dans des petits cahiers que Duras a oubliés… et retrouvés 40 ans plus tard, pour les retravailler, La douleur raconte l’histoire d’une femme, « M », qui attend seule chez elle, dans un Paris sous l’Occupation, le retour de son mari prisonnier au camp de Dachau durant la guerre.

« C’est une œuvre sur l’attente, celle des femmes délaissées par les guerres, explique la comédienne. C’est une œuvre de la fin de sa vie. L’écriture de Duras est précise, sans aucune complaisance, aucun affect. Le style est âpre, nerveux, violent, presque animal. »

Et pourtant, Dominique Blanc a failli ne jamais jouer La douleur… Au début des années 2000, la comédienne a vécu une période où elle était très perdue.

J’ai été longtemps sans travailler. Je n’avais pas de propositions au théâtre, au cinéma ni à la télévision. Et j’ai fait une dépression assez grave, j’ai été soignée à l’hôpital… Je pensais que je ne serais plus capable de monter sur un plateau. Alors, j’ai appelé Patrice…

Dominique Blanc

Patrice Chéreau organise des lectures de textes avec la comédienne et Thierry Thieû Niang. Ce dernier, spécialiste de Duras, apporte La douleur… « On s’est tout de suite entendus pour en faire une adaptation au théâtre. Ce texte m’a sauvée et j’espère le reprendre tous les quatre ou cinq ans. J’aimerais jouer La douleur jusqu’au bout de ma vie. »

La persévérance

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Dominique Blanc en entrevue avec La Presse.

Dominique Blanc croit que Duras n’aurait pas aimé voir La douleur au théâtre [Chéreau a eu les droits du fils de l’écrivaine, après sa mort en 1996] : « Dans son journal, l’auteur Lars Norén raconte qu’un ami metteur en scène est allé voir Duras chez elle, rue Saint-Benoît, pour lui demander les droits. Elle lui a répondu sèchement : “Non, non, non ! C’est impossible ! D’ailleurs, je ne l’ai pas écrit, ce texte ; il est sorti de moi comme un fœtus.” Du coup, il est reparti en Suède, penaud » (rires).

Dominique Blanc est l’illustration que la persévérance finit toujours par payer. « À l’adolescence, je n’avais pas confiance en moi », dit-elle, lorsqu’on lui demande de parler de ses débuts dans le métier.

J’ai été refusée quatre fois au Conservatoire et dans les écoles. Je ratais tous mes examens et auditions.

Dominique Blanc

Or, aujourd’hui, la comédienne de la Comédie-Française est l’unique actrice à avoir remporté quatre Césars et quatre Molières en carrière ! « Il ne faut jamais lâcher, dit-elle, jamais renoncer à ses rêves. Après un échec, il y a souvent une petite voix à l’intérieur qui dit de réessayer. C’est cette voix-là qu’il faut écouter. Pas les autres. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Dominique Blanc est l’illustration que la persévérance finit toujours par payer.

Un destin nommé Chéreau

Il y a la persévérance, mais aussi la chance. Dans son cas, celle de croiser à Villeurbanne, en 1980, un certain Patrice Chéreau. « À l’époque, je n’avais aucune carrière, pas d’agent. Je faisais du théâtre ambulant en plein air. Mais Patrice a accepté de me rencontrer. Quelques jours plus tard, il m’a laissé un message sur mon répondeur pour me proposer des petits rôles dans Peer Gynt. J’ai encore la cassette chez moi… »

Dominique Blanc a eu une belle et fructueuse collaboration avec l’homme de théâtre, mort en 2013 d’un cancer foudroyant, à 68 ans. « C’est rare de rencontrer un être merveilleux comme Patrice Chéreau, dit-elle. Je pense à lui chaque jour, ou presque. On partageait la même vision du jeu, de la création. Chaque rôle est un chantier jamais terminé. »

Pour les deux complices, le théâtre est un art sacré, essentiel : « C’est le dernier lieu de l’intelligence et du partage, dit-elle. Un endroit où un public de tous les âges et origines peut se rencontrer pour vivre ensemble une expérience commune. Humaine. Mais le théâtre est menacé, évidemment.

— Menacé par quoi ?

— Par la technologie, les écrans, l’intelligence artificielle. Toutes ces choses-là. »

« La douleur est implantée dans l’espoir », écrit Duras. Le théâtre survivra.

L’ouvrage de Dominique Blanc, Chantiers, je, est publié chez Actes Sud (collection Le temps du théâtre). La pièce La douleur est présentée jusqu’au 10 mars, à l’Usine C.

Consultez la page de la pièce

FOURNIE PAR L’USINE C/RICHARD SCHROEDER

Extrait de la pièce La douleur, de Marguerite Duras

Qui est Dominique Blanc ?

Née en 1956 à Lyon, l’actrice est lauréate de quatre Molières et de quatre Césars. Sous la direction du metteur en scène Patrice Chéreau, elle joue Phèdre, Les paravents, et au cinéma La reine Margot, Ceux qui m’aiment prendront le train.

Elle a collaboré avec les plus grands cinéastes et metteurs en scène d’Europe, tels que Luc Bondy, Claude Chabrol, Jean-Pierre Vincent, Antoine Vitez, Claude Sautet, Louis Malle, James Ivory et Peter Sellars (à l’opéra).

Mme Blanc est sociétaire de la Comédie-Française. Elle est officier de la Légion d’honneur et commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.