Robert Lalonde a écrit On est de son enfance comme un appel à se reconnecter avec soi et le monde. Il y convoque ses souvenirs, mais aussi ses écrivains amis et ses marches dans la nature, autant de thèmes récurrents chez cet auteur exigeant au regard tourné vers l’extérieur.

L’enfance

« On est de son enfance comme on est d’un pays. » Si Robert Lalonde a décidé d’emprunter son titre à Saint-Exupéry, c’est parce que cette citation lui correspond : pour lui, l’enfance n’est pas un lieu où on retourne par nostalgie, mais parce que c’est « la fondation ». « Déjà très tôt, on est qui on est, et souvent on le sait ! » L’enfance qu’il évoque dans ses nouveaux carnets est autant une souffrance qu’un émerveillement, et il « ressent » encore aujourd’hui très fortement les sensations qu’il avait dans sa jeunesse. Mais au-delà du retour à l’enfance, c’est son esprit « d’ouverture et d’incompréhension » qu’il a tenté de traduire. « Il me semble que si on le retrouvait, ça nous ouvrirait à prendre soin du monde et des autres », dit Robert Lalonde, qui est « consterné » par l’après-pandémie et la reprise de notre mode de vie d’avant, constatant que « tout le monde est fatigué et à cran ». « Ce serait amusant de cesser de penser qu’on a le pouvoir sur tout, que l’on comprend tout, qu’on doit maîtriser tout, qu’on est les propriétaires du monde. »

La nature

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Robert Lalonde

« J’écris pour renverser la disparition », a dit Robert Lalonde dans son discours d’acceptation du prix Athanase-David en novembre 2023. La disparition de la beauté et du mystère du territoire, ainsi que de notre rapport avec les autres, qui le préoccupent beaucoup. « Parce que ça nous rend insensibles. On ne perçoit plus les choses autrement que de façon virtuelle. » Dans ce livre comme dans les précédents, la nature se trouve au détour de chaque page. Elle est belle et apaisante, menacée et décimée, et aussi changeante et incohérente. « Comme nous ! », rappelle-t-il en plaidant pour qu’on le reconnaisse davantage. « La nature, c’est mon univers à moi. On n’est pas nombreux, tout en étant dans une espèce de frousse de destruction universelle, à considérer les chances qu’on a de vibrer encore à quelque chose. En ce moment, je vous parle, je suis dehors, et j’ai cinq chevreuils devant moi en train de se promener. Ces animaux ne sont pas en mode survie, ils vivent, simplement. Tout ça m’habite profondément à cœur de jour. »

La lecture

Pour Robert Lalonde, écrire c’est faire voir, et il aime s’y adonner en s’accompagnant d’écrivains qui ont la même vision que lui. On est de son enfance est truffé de citations qui font écho à ses propres préoccupations. « J’ai toujours écrit avec bien du monde, que j’ai envie d’inviter le lecteur à lire aussi. Ce sont des écrivains qui au lieu d’être dans la déploration de ce qui se passe dans le monde, rappellent, comme on disait plus tôt, qu’il y a autant de souffrance que de beauté. » À côté d’auteurs qu’il fréquente depuis toujours, de Giono à Gabrielle Roy à Borges, on retrouve aussi de nouvelles voix, comme Véronique Côté, Étienne Beaulieu ou Mélikah Abdelmoumen. « Tous ces gens sont mes amis, certains l’ignorent. Ils ne négligent pas la douleur humaine, mais portent le regard sur quelque chose qui est ni plus ni moins qu’un pouvoir guérisseur. » Des auteurs qui comme lui ont un parti pris contre le fatalisme ? « Tout à fait », dit-il, après nous avoir informée que les chevreuils sur son terrain sont maintenant au nombre de douze.

L’écriture

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Robert Lalonde

On est de son enfance est aussi un livre sur l’acte d’écrire. L’auteur de 76 ans, qui a enseigné la création littéraire à l’université et qui donne également beaucoup d’ateliers d’écriture, s’intéresse depuis longtemps à la transmission, et refuse de laisser s’agrandir le fossé entre les générations. « Mais je ne veux pas avoir l’air de donner de leçons ! » Dans une scène amusante du livre, il explique d’une manière imagée que l’écriture… est un métier qui n’est pas fait pour tout le monde. Alors qu’il se publie plus de livres que jamais au Québec, il précise d’ailleurs qu’« on se trompe quand on évoque le mot inspiration ». « Ce n’est pas une petite flamme rouge qui nous descend sur la tête et qui nous rend tout à coup omniscient. Quand je donne des ateliers, je travaille avec les gens sur la forme. Je les aide à trouver leur voix, à voir plus large, à aller plus loin. Les livres qui me tombent des mains, ce sont ceux qui expliquent tout. »

La marche

L’écrivain se promène beaucoup dans son livre, tant dans le passé que dans le présent, toujours à pied, toujours alerte. On a l’impression en fait qu’à part lire et écrire, ce que Robert Lalonde fait le plus souvent, c’est… marcher. « Oui, j’arrive justement du sous-bois ! On n’est pas dans le monde si on y est seulement virtuellement. Si on veut sauver la planète, il faut y vivre ! » Il « écrit » aussi beaucoup en marchant, en général pour élaguer : Robert Lalonde est plus le genre d’auteur à enlever qu’à ajouter de la matière. « Souvent à la fin, mon manuscrit fait 30, 40 pages de moins par rapport au début ! J’enlève tout le temps, j’essaie d’être concis, de privilégier des choses au détriment d’autres. Mais je n’ai pas de mérite, j’aime beaucoup retravailler. » Il est surtout sévère envers lui-même, même avec tout ce métier. « J’essaie d’éviter la complaisance, qui est un gros crime en écriture. C’est dur d’accepter notre propre style. On voudrait toujours écrire autrement. »

La suite

Même si on ne peut jamais prévoir le sort d’un livre – « La reconstruction du paradis, je pensais que j’écrivais ça pour cinq-six personnes, on est rendu à la sixième impression ! » – Robert Lalonde espère qu’On est de son enfance permettra à des gens de regarder autour d’eux plutôt que de tourner en rond. « Je le dis de façon modeste, je n’ai pas d’ambition de changer le monde. » Jouer au théâtre semble derrière lui, mais il continue les rencontres dans les bibliothèques et les ateliers : son besoin de voir des gens est grand, après être resté « encabané » trop longtemps pendant la pandémie. Il prend aussi beaucoup de temps pour répondre au courrier (volumineux) qu’il reçoit. « Je ne sais pas ce que je vais faire un jour de tous ces échanges. J’en ai une grosse pile ! » Certains en font des livres… « En effet. » Parions que si ça arrive, il nous donnera envie encore une fois de regarder le monde pour vrai.

On est de son enfance

On est de son enfance

Boréal

232 pages