Avec La vie heureuse, David Foenkinos signe son roman le plus magnétique depuis Le mystère Henri Pick. Nous avons joint l’auteur en France pour lui parler de ce nouveau titre qui évoque le désir de changer de vie.

Au cœur de La vie heureuse, il y a ce rituel coréen qui consiste à simuler son propre enterrement et qui va transformer l’existence de l’un de vos personnages, Éric. C’est à l’occasion d’un séjour à Séoul que vous avez vous-même découvert ce rituel.

J’en avais entendu parler effectivement quand j’étais allé à Séoul pour l’un de mes romans. Ça m’a énormément marqué. J’ai eu une expérience de mort à l’âge de 16 ans et c’est vrai que beaucoup de mes livres tournent autour de ce thème qui est très important pour moi. Il y a beaucoup de suicides en Corée du Sud et beaucoup de mal-être, et j’ai été assez touché par l’image de ces gens en souffrance, dans des vidéos, devant leur cercueil, avec leurs photos, qui rédigent une lettre d’adieu ou une épitaphe, se mettent dans le cercueil et puis ressortent au bout d’une heure. J’ai lu sur des forums coréens (avec l’application de traduction de Google) tout le bien-être que peut faire cette thérapie. Il y a des commentaires qui disent : « C’est comme une vie qui commence. » Ça ne marche évidemment pas à tous les coups, bien sûr, mais ça peut être une expérience humaine très, très forte qui fait qu’après, on relativise les choses davantage. Ça m’a fasciné.

Comment avez-vous vécu cette expérience de mort à 16 ans ?

J’ai eu une grave maladie et juste avant d’être opéré, avant l’anesthésie, en fait, j’ai eu l’expérience de ce tunnel de lumière. Je pense que si je suis aussi animé par le sujet du livre, c’est parce que ça résonne d’une manière très forte et très intime. J’ai vécu ce tunnel de lumière, je suis parti et, à un moment donné, je me suis arrêté et je suis remonté. À ce moment-là, ç’a été une forme de soulagement, d’extase. Mais ce qui est totalement fou, c’est que je suis revenu en ayant le sentiment d’être une autre personne.

Il n’y avait pas de livres chez moi, je n’étais pas du tout issu d’un milieu culturel, mais pendant de longs mois à l’hôpital, je me suis mis à lire, à écrire, à tout voir à travers le prisme de la beauté et à avoir un rapport totalement différent à la vie.

David Foenkinos

Et je peux mesurer à quel point la rencontre avec la mort peut être bénéfique.

Ce roman vous amène par ailleurs à aborder différentes façons dont on célèbre les rites funéraires dans le monde – en Inde, au Mexique, au Sénégal.

Je trouve que le rapport à la mort, selon les pays, les civilisations, est passionnant. C’est vrai que ça dépend des circonstances, mais dans certains cas, il est évident que, d’une manière assez clichée – quand ce n’est évidemment pas lié à un drame, une maladie ou quelque chose de précoce –, c’est une pulsion de vie d’aller dans les cimetières, dans les enterrements. Chaque fois, on en ressort avec l’envie de savourer les choses de la vie.

Il y a ce moment dans le roman où vous parlez de la « dictature du devoir paraître enthousiaste », alors qu’Éric n’arrive pas à exprimer son mal-être. Croyez-vous que c’est mal vu de nos jours de montrer des sentiments négatifs ?

On a rarement été aussi soumis à la dictature de l’apparence. On est en permanence scrutés, regardés, commentés. C’est aussi lié à notre époque qui découvre depuis deux décennies les réseaux sociaux. Ça a modifié énormément de choses dans les rapports humains ; ça modifie notre propre rapport à notre épanouissement, à notre bonheur. On est dans une époque où, pour la première fois, on a vraiment accès à la vie des autres. Parfois, on a le sentiment d’aller bien, mais de voir le bonheur des autres, ça peut nous procurer une sorte de mal-être. Il y a quelque chose de l’ordre de la compétition virtuelle inconsciente qui fait qu’on se définit maintenant beaucoup plus par rapport aux autres qu’avant, je trouve. Quand on va mal et qu’on est soumis en permanence à la vie rêvée des autres, ça devient assez insoutenable et les gens essaient souvent de paraître plus heureux qu’ils ne le sont véritablement.

En fin de compte, qu’est-ce qu’une vie heureuse à notre époque ?

Le cœur de mon livre, c’est la réinvention de soi, c’est l’idée d’aller chercher le bonheur, l’épanouissement, de changer de vie, de trajectoire. [...] Je pense qu’il ne faut pas faire l’économie des moments où l’on est dans le mal-être, la mélancolie, la lassitude, parce que ça fait partie profondément de l’humain. Il ne faut pas être à tout prix dans l’obsession du bonheur. Mes deux personnages vont changer de vie, vont réfléchir à leur trajectoire et vont retrouver une forme d’épanouissement qui est à l’encontre de ce qu’ils imaginaient au début. [...] J’aime bien l’idée qu’on puisse repartir à zéro et se réinventer. Je trouve qu’on a plusieurs vies.

La vie heureuse

La vie heureuse

Gallimard

208 pages