Roxanne Bouchard l’avoue d’emblée : avant que la vie ne mette sur sa route des fantassins, des démineurs et d’autres membres des Forces armées canadiennes, elle se considérait comme une antimilitariste pur jus.

L’autrice de nombreux romans et enseignante de littérature au cégep de Joliette a dû revoir sa position après avoir entamé en 2004, presque par hasard, une correspondance avec un soldat du nom de Patrick Kègle. Ce dernier traversait alors sa toute première mission. Il veillait notamment sur une école de Kaboul dont le professeur avait été décapité.

Cette correspondance rassemblée et publiée sous le titre En terrain miné (VLB éditeur) lui a ouvert les portes d’un univers dont elle ignorait tout. D’autres militaires sont venus à sa rencontre, lui ont proposé d’échanger autour d’une bière sur leur passage en Afghanistan, en Haïti, en Bosnie... Ils se sont racontés comme ils ont rarement l’occasion de le faire, tricotant ainsi maille par maille un second projet de livre – intitulé 5 balles dans la tête – aujourd’hui adapté pour le théâtre.

Confiance

Encore aujourd’hui, Roxanne Bouchard est émue lorsqu’elle pense à la confiance immense que ces hommes lui ont accordée.

Certains de ces hommes n’arrivent presque plus à sortir de chez eux. Ils sont en choc post-traumatique. Ils ne sont pas fiers de leur mission, car ça ne va pas bien en Afghanistan…

Roxanne Bouchard

Et malgré tout, ils ont confié à cette femme quasiment sortie de nulle part leurs exploits, leurs déceptions, leurs cauchemars.

« Ils m’ont appris l’empathie, lance Roxanne Bouchard. Il n’était plus question de conviction antimilitariste ou pas. Il était question d’humanité. L’un d’entre eux m’a raconté la peur qui le tenaillait. Il craignait de marcher sur une mine à chaque pas qu’il faisait... La confiance dont ces hommes ont fait preuve en étalant tout ça appartient au vrai courage. »

C’est cette humanité qui a séduit le metteur en scène François Bernier et qui l’a convaincu qu’il y avait dans ce collage de témoignages une poignante matière théâtrale. « À mon avis, pour faire un bon spectacle de théâtre, il faut un peu d’humour au début pour attendrir les cœurs. Ensuite, tu peux leur mettre un petit coup de poignard ! Il y a ça dans le texte de Roxanne. Les images sont très fortes, notamment celle de l’envahissement. La vie des militaires est envahie par ce qu’ils ont vécu en mission ; le quotidien de celle qui les écoute est aussi envahi par ce qu’elle entend. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

François Bernier assure la mise en scène de la pièce 5 balles dans la tête.

Après avoir lu et entendu ce que ces hommes ont vécu, tu ne peux pas revenir en arrière. J’ai une nouvelle conscience du monde militaire que je ne pourrai plus effacer.

François Bernier, metteur en scène

Le metteur en scène tient toutefois à préciser que sa pièce n’est pas qu’une suite de témoignages mis en scène. C’est une pièce de théâtre en bonne et due forme avec des codes métaphoriques, des symboles qui se glissent dans le propos. « C’est un récit dynamique et rythmé qui tient plus du théâtre documenté que du théâtre documentaire à la J’aime Hydro. »

Maxim Gaudette incarne deux des personnages de la pièce. Gerry, un pilote d’hélicoptère, et François Vézina, un adjudant chez les blindés qui doit vivre avec le poids des décisions qu’il a prises. « Ce qui m’a touché à la première lecture, c’est la proximité qu’on ressent avec les militaires. C’est quelque chose de physique. Tu sens leur état, leur fatigue, leur angoisse. C’est palpable et c’est une grande force du texte. Roxanne a réussi à créer un lien de confiance qui nous donne accès à toutes ces choses intimes. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

La distribution de 5 balles dans la tête en pleine répétition

« Pour un acteur, c’est très intéressant de se frotter à tout ça, d’incarner des gens qui sont vivants et qui viendront peut-être voir le spectacle, ajoute l’acteur. Depuis le début, j’essaie d’interpréter ces rôles de la manière la plus dépouillée possible. Pour donner accès au public à la vulnérabilité des personnages, il faut être vrai, vrai, vrai. »

Perception changée

Cette aventure théâtrale a-t-elle changé sa perception de la guerre et de ceux qui la font ?

« Il y a une fierté à faire partie de l’armée que je comprends mieux depuis que j’ai rejoint l’équipe de 5 balles dans la tête, affirme Maxim Gaudette. Ces hommes, ces militaires ont tout mon respect. Je ne crois pas que je serais capable de faire ce qu’ils ont fait... Mais ma position par rapport à la guerre reste la même. Depuis que je suis jeune, je me demande à quoi sert la guerre, ultimement. Pour moi, ça reste une réalité absurde, même si je sais que dans certains contextes sociopolitiques, il y a des choses qu’on doit défendre et protéger. Mais bon, dans le feu de l’action, tu ne peux pas te poser ce genre de questions ! »

Pour favoriser la compréhension sur ce qu’ont vécu les membres des Forces armées canadiennes, notamment en Afghanistan, François Bernier compte proposer des activités de discussion après quelques représentations. « On souhaite vraiment que le public ait un espace pour échanger. On veut faire tomber le quatrième mur, en quelque sorte. Cette rencontre, cette communion réelle est l’une des grandes forces du théâtre. Ces hommes se sentent souvent largués par la société. Ils pensent que leurs histoires n’intéressent personne... »

Roxanne Bouchard et Maxim Gaudette se souviennent tous deux d’avoir vécu un moment très émouvant après une lecture publique présentée il y a quelques années à Notre-Dame-des-Prairies. « Plusieurs militaires étaient dans la salle, raconte l’autrice. Ils sont montés sur scène après la représentation et les gens se sont levés pour les applaudir. Eux qui ne sont jamais applaudis nulle part. Pour une fois, ils n’étaient pas dépeints comme des pourris, des gens sans valeur. Grâce à la pièce, ils se voyaient eux-mêmes. Ça a donné du sens à ce qu’ils vivent. C’était très touchant. En sentant leur émotion, j’ai eu le sentiment d’avoir accompli quelque chose avec eux. »

5 balles dans la tête, à La Licorne, du 5 mars au 5 avril

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