« C’est un vrai acte qu’elle fait sur scène »

De nombreux spectateurs ont dû être accompagnés hors de la salle pendant la pièce Liebestod, présentée à l’Usine C la semaine dernière, et qui montre un véritable geste d’automutilation. Si la scène sanglante a incommodé des gens dans l’assistance, le théâtre estime avoir pris les dispositions nécessaires pour prévenir sa clientèle.

« Je suis encore sous le choc de ce spectacle déconcertant présenté à l’Usine C », a écrit la romancière Roxanne Bouchard sur Facebook, en parlant de Liebestod, spectacle de l’Espagnole Angélica Liddell qui était présenté du 22 au 24 février au théâtre de l’avenue Lalonde. Elle y décrit l’une des scènes du début : une femme s’entaille les genoux et laisse couler son sang, qu’elle éponge avec du pain. Qu’elle mange ensuite.

La romancière précise n’avoir jamais vu autant de gens quitter une salle de représentation dès les 20 premières minutes d’un spectacle. « J’avoue que je ne suis pas fan de sang qui coule, ça fait qu’à un moment donné, je regardais un peu ailleurs, raconte-t-elle en entrevue avec La Presse. J’ai dit à mon chum : si elle s’entaille l’intérieur des cuisses, je sors. » Celui-ci se demandait justement s’ils étaient « venus voir le show d’une femme qui s’automutile ».

Entre autres choses, oui.

Angélica Liddell fait des gestes d’automutilation « dans quasiment tous ses spectacles » depuis plusieurs décennies, explique Jean-Florent Westrelin, responsable des communications et du marketing à l’Usine C. « C’est un vrai acte qu’elle fait sur scène, de manière très médicale », précise-t-il.

L’Usine C était au courant non seulement de l’existence de cette scène en début de spectacle, mais aussi qu’en Europe, où il a été présenté plus de 60 fois, « des gens sortent parce qu’ils ne se sentent pas bien ». En conséquence, une personne avait été spécialement embauchée pour accompagner les spectateurs « en situation de malaise ou en crise d’angoisse » et prêter main-forte au personnel habituel de l’endroit, formé aux premiers soins, précise M. Westrelin.

Petits caractères et écriteaux en guise de prévention

La Presse a parlé à trois personnes qui ont assisté à Liebestod et il n’était clair pour aucune d’entre elles que du personnel de l’Usine C était là pour s’occuper des spectateurs ressentant un malaise. Aucune mention du caractère potentiellement choquant du spectacle n’a été diffusée avant le début de la représentation, comme c’est parfois le cas lorsqu’un coup de feu ou des effets stroboscopiques peuvent incommoder certains spectateurs.

Claudia Pharand trouve que ç’aurait de toute façon été superflu. « Il n’y avait rien dans ce spectacle qui aurait pu me faire perdre connaissance », dit-elle. Spectatrice assidue de théâtre, elle en a vu d’autres. Elle a d’ailleurs cru que la scène d’automutilation était fausse et que le malaise de la femme qu’elle a vue être escortée hors de la salle n’était pas lié au spectacle lui-même.

Quant à Roxanne Bouchard, elle ne souffre pas d’hémophobie – peur du sang qui peut aller jusqu’à faire tourner de l’œil –, mais elle n’est « pas fan de coulage de sang ».

J’aurais aimé ça que le théâtre m’informe qu’il allait y avoir du sang sur scène.

Roxanne Bouchard, romancière et spectatrice

L’Usine C estime pour sa part avoir pris les mesures nécessaires pour informer ses spectateurs. Un avertissement en petits caractères les prévenant d’une « scène d’automutilation » pouvant « heurter la sensibilité » était encore affiché sur son site internet lundi. M. Westrelin précise en outre que des écriteaux informant l’assistance d’une scène pouvant choquer étaient affichés près des vestiaires et de l’entrée de la salle de représentation. L’avertissement était aussi présent dans le programme.

Liebestod d’Angélica Liddell était présenté comme une œuvre d’une « beauté tragique absolue » qui « célèbre la mort comme apogée de la passion amoureuse ». Le spectacle était qualifié de « provocant », « bouleversant » et « inoubliable ». Roxanne Bouchard dit d’ailleurs l’avoir trouvé à la fois « horrible » et « magnifique », lui trouvant de la profondeur derrière son côté choquant.