Un premier ministre « visionnaire » et « courageux », mais surtout un homme « généreux » et charismatique. Tant sur la scène politique qu’ailleurs, les éloges ont fusé de partout à l’annonce de la disparition de Brian Mulroney, qui s’est éteint jeudi à l’âge de 84 ans.

« Il a marqué notre passé, il marque encore notre présent, et il marquera longtemps notre avenir aussi », a réagi le premier ministre du Canada, Justin Trudeau.

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Brian Mulroney et Justin Trudeau au Forum économique de l’Atlantique en Nouvelle-Écosse, en juin dernier

Ce dernier a dit avoir appris avec « une grande tristesse » la mort d’un homme qui a « toujours cherché à faire de ce pays un endroit meilleur où il fait bon vivre ». À sa déclaration sur les réseaux sociaux, le chef libéral a ajouté, en marge d’un évènement partisan à Thunder Bay, en Ontario, que Brian Mulroney avait été « un vrai homme d’État ».

« Je n’oublierai jamais les conseils qu’il m’a donnés au fil des ans. Il était généreux, dévoué et très passionné par son travail », a-t-il continué, insistant sur l’importance de « reconnaître et célébrer le rôle que M. Mulroney a joué dans l’évolution du pays moderne, dynamique et prospère que nous connaissons tous aujourd’hui ».

Le premier ministre du Québec, François Legault, a quant à lui salué « un visionnaire avec son accord de libre-échange canado-américain ». « Il s’est tenu debout en s’opposant au régime de l’apartheid en Afrique du Sud. Il a su lutter contre les pluies acides, un des grands défis environnementaux à l’époque. Il a aussi été un véritable ambassadeur qui a fait rayonner le Québec et le Canada », s’est rappelé M. Legault.

« Un mentor, un ami, un confident »

Même s’il a vu Brian Mulroney en Floride il y a de cela quelques jours à peine, Jean Charest était tout de même « sous le choc », jeudi. « Il m’avait dit qu’il aimerait me voir, donc je suis allé en Floride. On s’est vus samedi soir. Il était très affaibli. Il avait perdu beaucoup de poids, il avait de la difficulté à marcher, mais il était alerte », a relaté celui qui a été ministre de l’Environnement dans le gouvernement Mulroney.

« Il a été pour moi un mentor, un ami, un confident, un soutien dans tout ce que j’ai fait dans ma vie politique, et un quasi-père », a-t-il confié dans un entretien téléphonique.

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Jean Charest et Brian Mulroney, en 2014

Le legs politique de Brian Mulroney, lui, est immense, juge Jean Charest. « Il avait cette ambition de changer le Canada pour le mieux, et il avait beaucoup de courage, parce qu’il avait entrepris des projets qui allaient lui coûter en popularité : le libre-échange, la TPS, les négociations constitutionnelles, tout ça portait à controverse », a-t-il souligné.

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Brian Mulroney et Lucien Bouchard, en 1985

Aux yeux de l’ancien premier ministre du Québec Lucien Bouchard, qui fut ministre de l’Environnement dans le Cabinet de Brian Mulroney avant de fonder le Bloc québécois, le défunt « était un grand ami du Québec ». « Il a pris de grands risques politiques pour réconcilier le Québec avec le reste du Canada et a fait preuve d’une sensibilité à l’égard du Québec qu’aucun autre premier ministre n’a jamais eue à Ottawa. Il a tenté de faire une place asymétrique au Québec dans la fédération », a-t-il dit en entrevue jeudi soir.

Malheureusement, l’échec de l’accord du lac Meech a été une amère défaite. Mais il a été un grand premier ministre, qui a réalisé plusieurs grandes choses comme l’accord de libre-échange, la TPS et la lutte contre l’apartheid, entre autres.

Lucien Bouchard, ancien premier ministre du Québec

Liens privilégiés

C’est le souvenir d’un homme « généreux » que conservera quant à lui Paul Tellier, sous-ministre et greffier du Conseil privé du Canada sous Brian Mulroney. « C’est le meilleur patron que j’aie jamais eu », a-t-il dit.

Le souvenir, aussi, d’un homme d’État doté d’aptitudes interpersonnelles hors du commun. Les présidents américains Ronald Reagan et George H. W. Bush, le premier ministre britannique John Major – pour ne nommer que ceux-là – entretenaient des liens privilégiés avec Brian Mulroney, se remémore-t-il.

« Il était capable d’établir des relations personnelles, d’abord et avant tout, avant de parler d’affaires. Et ça a très bien servi les intérêts du Canada, sur le plan intérieur comme sur le plan international », a-t-il relaté.

« À mes yeux, il n’y a aucun premier ministre dans l’histoire du Canada qui a eu autant d’influence sur la scène internationale », estime quant à lui l’ex-animateur et journaliste Guy Gendron, auteur du livre Brian Mulroney : l’homme des beaux risques, qui découlait d’une série documentaire.

Selon lui, le discours prononcé par M. Mulroney devant l’ONU sur l’apartheid a marqué les esprits dans le monde entier. « À l’époque, il avait chauffé les oreilles de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, qui ne voulaient rien savoir de son combat au début. Les mâchoires de tous les leaders africains étaient tombées en l’entendant. Personne n’avait jamais parlé comme ça à Margaret Thatcher », note M. Gendron.

Il se souvient que dès sa sortie de prison, Nelson Mandela avait même appelé M. Mulroney en personne pour lui dire que son premier discours dans un parlement démocratique, « il voulait le faire au Canada ».

Ça aura été un premier ministre de transformation. Qu’on l’aime ou pas, c’était un homme qui a fait des changements. Un grand homme d’État.

Guy Gendron, ex-animateur et journaliste

Un nationaliste dans l’âme

L’auteur, chroniqueur et journaliste Gilbert Lavoie, qui a aussi été l’attaché de presse de Brian Mulroney de 1989 à 1992, se souvient d’un homme « qui avait une grande capacité à nouer de fortes relations avec les gens ». « Cet homme-là a occupé beaucoup de place dans la vie de tous ceux et celles qui ont travaillé pour nous. Son décès laisse un grand vide. C’est comme si quelqu’un de la famille partait », souffle M. Lavoie.

Selon lui, l’amour de M. Mulroney pour le Québec ne faisait aucun doute. « Il avait beau être un fédéraliste, c’était un gars qui se sentait plus à l’aise au Québec que nulle part ailleurs au Canada. »

Par ailleurs, la facilité qu’avait l’ancien premier ministre à entretenir des relations l’a beaucoup servi en matière de relations diplomatiques. « J’avais eu le privilège de me retrouver dans la maison des Bush, à un moment. Et on était là, comme au chalet, avec sa femme. C’était des relations très étroites que M. Mulroney avait su développer avec certains leaders », raconte encore M. Lavoie.

À l’Université Laval, où Brian Mulroney a présidé trois campagnes de financement et où un pavillon consacré aux études internationales portera bientôt son nom, le choc est aussi fort.

« Ça nous a tous secoués. Pour nous, M. Mulroney, c’est un géant », confie la rectrice de l’université, Sophie D’Amours. « M. Mulroney a toujours été un fier diplômé et il avait beaucoup de reconnaissance. Il disait que c’était ses golden years. Avec sa promotion de 1963, ils se réunissaient encore », ajoute Mme D’Amours, qui espère que les futurs jeunes étudiants « seront interpellés par l’ambition tellement forte qu’a eue Brian Mulroney ».

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Brian Mulroney et Pierre Karl Péladeau, en 2017

M. Mulroney aura aussi marqué l’histoire de Québecor, selon son président et chef de la direction, Pierre Karl Péladeau. « Dès la fin des années 1960, il a été un précieux conseiller pour mon père, Pierre Péladeau, puis il est devenu un mentor exceptionnel pour moi. Ce fut un honneur de pouvoir compter sur son expérience hors du commun », a dit l’homme d’affaires dans un communiqué.

La Chambre des communes a ajourné ses travaux plus tôt que prévu après l’annonce de la mort de M. Mulroney jeudi soir, par respect pour celui qui a donné une bonne partie de sa vie à la vie publique.

Avec la collaboration de Mylène Crête et d’Yves Boisvert, La Presse