(Ottawa et Montréal) « Il était un homme incroyable. J’étais tellement chanceuse d’être sa fille ».

Après avoir annoncé la triste nouvelle de la mort de son père, Brian Mulroney, sur le réseau X, Caroline Mulroney a rendu un hommage bien senti dans une courte déclaration à La Presse à celui vers qui elle n’a cessé de se tourner pour obtenir de précieux conseils durant toute sa vie, et particulièrement depuis qu’elle a fait le saut en politique provinciale, en Ontario, en 2018.

Caroline Mulroney est une ministre influente du gouvernement de Doug Ford depuis juin 2018. Elle est présentement Présidente du Conseil du Trésor. Elle a été auparavant ministre des Transports et aussi ministre de la Justice.

Les réactions ont été nombreuses à la suite du décès de M. Mulroney, qui a été premier ministre du Canada de 1984 à 1993.

Le premier ministre Justin Trudeau a dit avoir appris avec « une grande tristesse » le décès d’un homme qui a « toujours cherché à faire de ce pays un endroit meilleur où il fait bon vivre ».

À sa déclaration sur les réseaux sociaux, le chef libéral a ajouté, en marge d’un évènement partisan à Thunder Bay, en Ontario, que Brian Mulroney était « un vrai homme d’État ».

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Brian Mulroney, le président américain Joe Biden et le premier ministre Justin Trudeau en décembre 2016

Et à ce titre, « il a marqué notre passé, il marque encore notre présent, et il marquera longtemps notre avenir aussi », a argué Justin Trudeau.

« Un visionnaire »

Le premier ministre du Québec, François Legault, a quant à lui salué « un visionnaire » avec son accord de libre-échange canado-américain.

« Il s’est tenu debout en s’opposant au régime de l’apartheid en Afrique du Sud. Il a su lutter contre les pluies acides, un des grands défis environnementaux à l’époque. Il a aussi été un véritable ambassadeur qui a fait rayonner le Québec et le Canada », s’est rappelé M. Legault.

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a ajouté sa voix au concert d’éloges, rappelant au passage que Brian Mulroney avait remporté la plus grande majorité de l’histoire du Canada.

« On va tous se souvenir de lui, et on va tous penser à son beau gros sourire irlandais et sa voix profonde et riche », a-t-il déclaré en point de presse, jeudi soir.

Sur une note plus personnelle, il a ajouté qu’il lui sera « toujours reconnaissant pour ses conseils francs et son généreux mentorat ».

L’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper, dont les relations avec Brian Mulroney n’ont pas toujours été au beau fixe, notamment en raison de l’affaire Airbus, s’est montré élogieux.

« L’Histoire retiendra que le mandat de premier ministre de M. Mulroney a été transformateur », a-t-il écrit en anglais sur la plateforme X en énumérant certaines des réalisations du 18e premier ministre canadien.

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Stephen Harper et Brian Mulroney en avril 2006

« [Il] a défendu la liberté et la démocratie sur la scène mondiale, dans son opposition de principe à l’apartheid en Afrique du Sud, son soutien durable à Israël et son plaidoyer en faveur de l’indépendance de l’Ukraine et des autres nations européennes longtemps sous le joug du communisme soviétique », a-t-il cité.

Aux yeux du chef bloquiste Yves-François Blanchet, l’ancien premier ministre « est peut-être le dernier à avoir tenté de réconcilier avec sincérité le Québec et le Canada ». « Son rôle dans le respect des droits humains et la libération de Nelson Mandela est historique. Il a même eu la confiance de René Lévesque. Respect pour un grand Nord-Côtier », a-t-il écrit.

« Il était un leader en matière de protection de l’environnement, notamment dans la lutte contre les pluies acides et en interdisant des produits chimiques dangereux pour la couche d’ozone », a aussi rappelé le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh.

Générosité et courage

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Jean Charest et Brian Mulroney en mai 2019

Même s’il a vu Brian Mulroney en Floride il y a de cela quelques jours seulement, Jean Charest était tout de même « sous le choc », jeudi.

« Il m’avait dit qu’il aimerait me voir, donc je suis allé en Floride. On s’est vu samedi soir. Il était très affaibli. Il avait perdu beaucoup de poids, il avait de la difficulté à marcher, mais il était alerte », a relaté celui qui a été ministre de l’Environnement au sein du gouvernement Mulroney.

« Il a été pour moi un mentor, un ami, un confident, un soutien dans tout ce que j’ai fait dans ma vie politique, et un quasi-père », a-t-il confié dans un entretien téléphonique.

Le legs politique de Brian Mulroney, lui, est immense, juge Jean Charest.

« Il avait cette ambition de changer le Canada pour le mieux, et il avait beaucoup de courage, parce qu’il avait entrepris des projets qui allaient lui coûter en popularité : le libre-échange, la TPS, les négociations constitutionnelles, tout ça portait à controverse », a-t-il souligné.

De son côté, c’est le souvenir d’un homme « généreux » que conservera Paul Tellier, sous-ministre et greffier du Conseil privé du Canada sous Brian Mulroney. « C’est le meilleur patron que j’aie jamais eu », a-t-il dit en entrevue.

Le souvenir, aussi, d’un homme d’État doté d’aptitudes interpersonnelles hors du commun. Les présidents américains Ronald Reagan et George H. W. Bush, le premier ministre britannique John Major — pour ne nommer que ceux-là — entretenaient un lien privilégié avec Brian Mulroney, se remémore-t-il.

« Il était capable d’établir des relations personnelles, d’abord et avant tout, avant de parler d’affaires. Et ça a très bien servi les intérêts du Canada, sur le plan domestique comme international », a-t-il relaté.

« À mes yeux, il n’y a aucun premier ministre dans l’histoire du Canada qui a eu autant d’influence sur la scène internationale », estime quant à lui l’ex-animateur et journaliste Guy Gendron, qui est derrière le livre Brian Mulroney : l’homme des beaux risques, qui découlait d’une série documentaire.

Selon lui, le discours qu’avait fait M. Mulroney devant l’ONU sur l’apartheid a marqué les esprits à travers le monde entier. « À l’époque, il avait chauffé les oreilles de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, qui ne voulaient rien savoir de son combat au début. Les mâchoires de tous les leaders africains étaient tombées en l’entendant. Personne n’avait jamais parlé comme ça à Margaret Thatcher », note M. Gendron.

Il se souvient que dès sa sortie de prison, Nelson Mandela avait même appelé M. Mulroney en personne pour lui dire que son premier discours dans un parlement démocratique, « il voulait le faire au Canada ».

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Nelson Mandela et Brian Mulroney à la Chambre des communes, en 1990

L’auteur, chroniqueur et journaliste Gilbert Lavoie, qui a aussi été l’attaché de presse de Brian Mulroney entre 1989 et 1992, se rappelle d’un homme « qui avait une grande capacité à nouer de fortes relations avec les gens ». « Cet homme-là a occupé beaucoup de place dans la vie de tous ceux et celles qui ont travaillé pour nous. Son décès laisse un grand vide. C’est comme si quelqu’un de la famille part », souffle M. Lavoie.

Selon lui, l’amour de M. Mulroney pour le Québec ne faisait aucun doute. « Il avait beau être un fédéraliste, c’était un gars qui se sentait plus à l’aise au Québec que nulle part ailleurs au Canada. »

À l’Université Laval, où Brian Mulroney a présidé trois campagnes de financement et où un pavillon consacré aux études internationales portera bientôt son nom, le choc est aussi fort. « Ça nous a tous secoués. Pour nous M. Mulroney, c’est un géant », confie sa rectrice, Sophie D’Amours. « M. Mulroney a toujours été un fier diplômé et il avait beaucoup de reconnaissance. Il disait que c’était ses golden years. Avec sa promotion de 1963, ils se réunissaient encore », ajoute Mme D’Amours, qui espère que les futurs jeunes étudiants « seront interpellés par l’ambition tellement forte qu’a eue Brian Mulroney ».

M. Mulroney aura aussi marqué l’histoire de Québecor, selon son président et chef de la direction, Pierre Karl Péladeau. « Dès la fin des années 60, il a été un précieux conseiller pour mon père, Pierre Péladeau, puis il est devenu un mentor exceptionnel pour moi. Ce fut un honneur de pouvoir compter sur son expérience hors du commun », a dit l’homme d’affaires dans un communiqué.

Brian Mulroney s’était fait connaître du grand public lors de la commission Cliche mise sur pied en 1974 après le saccage de la Baie-James par des agents syndicaux de la FTQ-Construction. « Il pouvait être incisif. Il travaillait au bistouri », se rappelle Louis-Gilles Francœur qui avait couvert la commission comme journaliste au Devoir et s’était lié d’amitié avec lui.

Si on se souvient davantage des débats constitutionnels qui ont ponctué la carrière politique de Brian Mulroney, mais M. Francœur rappelle qu’il a été le premier à déposer un plan pour protéger la biodiversité et à mettre en place un mécanisme d’évaluation environnementale.

La réparation de « l’injustice historique »

Partout sur la scène politique québécoise, le décès de M. Mulroney a fait réagir. « Malgré nos différences de vision sur la place du Québec dans le Canada, je tiens à saluer le courage d’un homme qui aura tout tenté pour réparer l’injustice historique du rapatriement unilatéral de la Constitution, contre le Québec et dans le dos du Québec », a fait valoir le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon.

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Brian Mulroney et René Lévesque en juin 1984

Il a rappelé qu’à l’époque, « plusieurs indépendantistes, dont René Lévesque, ont cru au beau risque notamment en raison de la bonne foi et de la détermination de monsieur Mulroney à réintégrer le Québec dans le giron constitutionnel, dans l’honneur et l’enthousiasme ».

« Sur la scène internationale, son leadership aura permis au Canada de briller et d’affirmer ses valeurs. Le « p’tit gars de Baie-Comeau » nous laisse un grand héritage politique : celui d’un premier ministre qui aura fait du Canada un pays important et respecté. Nous ne vous oublierons jamais », a quant à lui fait valoir le chef du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay.

« Au nom de ma formation politique, j’offre toutes mes condoléances aux proches de Brian Mulroney, un québécois qui a donné une grande partie de sa vie à la chose publique. Son combat pour les droits humains en Afrique du Sud a été une grande marque de courage », a de son côté dit le co-porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois.

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a salué un « grand Montréalais » qui « aura marqué le Canada avec ses réformes économiques et constitutionnelles ». Parmi les faits d’armes qu’elle a évoqués figurent les prises de position de Brian Mulroney en environnement, soulignant qu’il a fait adopter la première Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

Toujours du côté de Montréal, le conseiller municipal Serge Sasseville, s’est dit sous le choc. « Il m’a souvent prodigué de précieux conseils au cours de ma carrière. Le 18 août 2021, chez lui, il avait été le deuxième à signer mon bulletin de candidature pour l’élection municipale. […] C’était un grand homme qui a fait honneur au Canada », s’est rappelé celui qui a été cadre chez Québecor.

« C’était un homme doté d’une véritable vision, et comme l’a dit l’ancienne première ministre britannique Margaret Thatcher, un ami de confiance », a de son côté avancé la haute-commissaire du Royaume-Uni au Canada, Susannah Goshko.

L’ambassadeur des États-Unis au Canada, David Cohen, a offert « ses profondes sympathies » aux proches de Brian Mulroney. Sa chaleur et son sens de l’État » ont conquis « des dirigeants de toutes les allégeances politiques », a-t-il déclaré par voie de communiqué.

« Ses relations profondes et respectueuses avec plusieurs administrations américaines de l’époque constituent un standard auquel tous les dirigeants aspirent », a conclu l’envoyé de Washington à Ottawa.

Avec Mylène Crête, La Presse