Le nom de James Foley ne vous dit peut-être plus grand-chose aujourd’hui. Mais qui ne se souvient pas de ces images de journalistes occidentaux en combinaison orange, en plein désert, retenus en otage par les djihadistes du groupe État islamique il y a 10 ans ?

Le jour même où la photo de James Foley avait fait les manchettes après qu’il a été décapité par les djihadistes, en 2014, Colum McCann, auteur d’Et que le vaste monde poursuive sa course folle, recevait lui-même une photo du journaliste américain en train de lire son célèbre roman, envoyée par des amis à lui.

« Je cherchais quelque chose à écrire à ce moment-là et j’ai alors contacté sa mère, Diane Foley, pour lui dire que si elle avait besoin de quelqu’un pour raconter sa vie, j’étais prêt à le faire », confie l’écrivain irlandais, joint à New York, où il habite depuis plus de 30 ans.

Je pensais que je pouvais être un genre de chuchoteur d’histoires.

Colum McCann

Son message est resté sans réponse jusqu’au jour où, des années plus tard, un concours de circonstances lui a permis de s’entretenir avec Diane Foley... qui n’avait jamais reçu sa demande. Et leur rencontre a finalement mené à l’écriture du livre American Mother.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

James Foley a été capturé en Syrie en 2012 par les djihadistes du groupe État islamique et retenu en otage jusqu’à son exécution, en 2014.

La voix d’une mère

Dans ce récit, Colum McCann s’efface complètement pour laisser la place à Diane Foley. Il se fait d’abord l’observateur silencieux de cette audience entre elle et l’un des assassins de son fils, Alexanda Kotey, jugé en 2021 en Virginie – et à laquelle il a assisté alors qu’aucun membre de la famille Foley ne voulait accompagner la mère.

L’écrivain s’immisce dans les pensées de cette femme qui l’a soufflé par son courage, décrivant ses dilemmes et ses déchirements, alors qu’elle se demandait si elle regretterait d’être allée à cette rencontre, si elle devrait regarder le jeune homme dans les yeux ou si elle serait capable de ne pas pleurer devant lui.

La décision, en fin de compte, s’est imposée d’elle-même. « Je savais que Jim l’aurait rencontré et aurait voulu entendre son histoire », affirme Diane Foley, jointe chez elle, au New Hampshire. « Et c’était thérapeutique, ajoute-t-elle. Parce qu’il avait des remords. C’était difficile, mais je suis reconnaissante d’avoir pu le faire. »

PHOTO JOEL SAGET, AGENCE FRANCE-PRESSE

Diane Foley

Elle admet qu’elle se sentait plus en colère contre son gouvernement, qui n’a rien fait pour libérer les otages dont faisait partie son fils, qu’envers Alexanda Kotey, qui était à son avis victime des manques qu’il a subis durant son enfance et des djihadistes qui lui ont lavé le cerveau.

Son combat pour la libération de son fils occupe d’ailleurs la deuxième partie du livre, où Diane Foley exprime à travers la plume de Colum McCann son sentiment d’impuissance tout en se montrant particulièrement critique envers l’inaction du gouvernement américain.

Elle revient également sur la vie de James et sur son profond regret de ne pas en avoir fait plus pour l’empêcher de partir en Syrie, où il a été capturé. Puis on apprend comment elle a fini par créer la fondation qui porte son nom et qui milite aujourd’hui pour changer les politiques entourant la libération des otages américains, en plus de donner des formations pour sensibiliser les jeunes journalistes aux dangers en zone de guerre.

Je sens que c’est l’héritage de Jim et de ceux qui étaient détenus avec lui.

Diane Foley

Pas aux États-Unis

Comble de l’ironie, American Mother n’a toujours pas été publié aux États-Unis, où il doit paraître dans les prochains jours ; il est sorti en premier en France, en janvier, puis à la fin de février au Royaume-Uni. « Je n’ai aucune idée de la façon dont il sera accueilli », dit Diane Foley, tout en espérant que le sujet demeure une question non partisane. « La dernière chose dont nous avons besoin est d’une autre question qui nous divise. »

Selon Colum McCann, en revanche, « le monde avait besoin d’entendre cette histoire ». « C’est un mythe pour notre époque. Diane Foley a cette présence extraordinaire, et elle dit : “Écoutez-moi, parce que je vais avoir cet engagement profondément politique qui va littéralement changer le monde et la façon dont on perçoit la prise d’otages.” Et c’était important pour moi, en tant qu’écrivain, d’aider à donner une voix à cela. »

American Mother

American Mother

Belfond

208 pages