Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui marquent la vie urbaine.

Saviez-vous qu’a été fondé en 1902 le Club des femmes de couleur de Montréal ? Que l’Université McGill a tenu en 1968 un congrès des écrivains noirs ? Que c’est en 1902 que le terme « Quartier chinois » apparaît pour une première fois dans La Presse ? Que les autochtones occupent le territoire depuis 5000 ans ?

C’est ce que vous apprendrez dans la captivante exposition Entre le passé et le présent : des histoires oubliées de Montréal, présentée gratuitement au MEM – Centre des mémoires montréalaises jusqu’au 28 avril.

Ce projet du collectif Je suis Montréal démontre à quel point les personnes noires, autochtones et d’origine chinoise sont effacées dans l’histoire de Montréal avec un grand H.

Taïna Mueth, cofondatrice du collectif, et Myriam Olmand, avec qui elle a coordonné l’exposition, venaient tout juste de voir le montage final dans l’aile vitrée du MEM qui donne sur la patinoire de l’esplanade Tranquille lors de notre rencontre. Elles en avaient les larmes aux yeux. « Je n’aurais jamais pensé que ce projet se retrouverait dans un musée », s’est pincée la première. « Tout le travail accompli depuis 2020 », a réalisé la deuxième.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Présentée dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, l’exposition est gratuite et le vernissage a lieu jeudi soir.

Entre le passé et le présent a d’abord pris la forme d’une exposition virtuelle en 2020, puis a été présentée durant une semaine à la galerie d’art WIP, boulevard Saint-Laurent, l’an dernier. L’idée a germé dans l’esprit de Taïna Mueth quand elle a vu dans les archives du musée McCord un portrait de Mary Ann Law Guilmartin, photographiée par William Notman en 1877. Elle a été frappée par son élégance. Mais pourquoi n’avait-elle jamais entendu parler d’elle ?

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Mademoiselle Guilmartin est née esclave avant de marier un député, et cette photo lui donne de l’empuissancement (empowerment), souligne Taïna Mueth.

« Je voulais donner à d’autres personnes le sentiment de se voir enfin représentées dans l’histoire, expose Taïna Mueth. Nous avons existé et nous avons notre place dans l’histoire de Montréal. Alexander Grant a fait changer les choses, peut-être que moi aussi », lance celle qui est chargée de projets à la Fédération des femmes du Québec.

Donner une voix

Qui est Alexander Grant ? Arrivé de New York en 1830, il est considéré comme le premier militant noir du Bas-Canada. « Il est une figure de proue de la communauté noire à Montréal, indique Myriam Olmand. Il a écrit dans les journaux sur l’abolition de l’esclavage. »

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Un collage de photographies d’Alexander Grant

Entre le passé et le présent : des histoires oubliées de Montréal s’inscrit dans ce que faisait le Centre d’histoire avant de devenir le MEM dans un nouvel espace inauguré l’automne dernier. « Donner une voix à des groupes qu’on entend moins », souligne Josée Lefebvre, responsable des projets citoyens et communautaires.

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Josée Lefebvre, responsable des projets citoyens et communautaires au MEM

Elle rappelle l’exposition en 2007 sur le procès de Marie-Josèphe-Angélique. Cette histoire d’une esclave accusée – avant d’être pendue – d’un incendie qui a détruit l’Hôtel-Dieu et 45 maisons en 1734 est aussi fascinante que terrifiante. « Ce sont des évènements peut-être connus des historiens, mais pas du grand public », fait valoir Mme Lefebvre.

Il est par ailleurs fascinant d’apprendre que le bar Rockhead’s Paradise, ouvert en 1928 à l’angle des rues Saint-Antoine et de la Montagne, était la première boîte de nuit au Canada à appartenir à un homme d’affaires noir, Rufus Rockhead. De grandes stars du jazz comme Louis Armstrong, Billie Holiday, Nina Simone et Ella Fitzgerald y ont chanté.

« On a déjà appelé le quartier Petite-Bourgogne le Harlem of the North tellement il y avait une forte culture jazz et une vague d’immigration noire des États-Unis », indique Taïna Mueth, qui aurait voulu l’apprendre dans un cours d’histoire.

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L’exposition a une dimension artistique avec ce collage de Bliss Mutanda (qui réinvente l’histoire devant la place D’Youville), ainsi que des poèmes de Florence M. Rosalie, Maya Cousineau-Mollen et Bao-Vy Nguyen.

Un manque d’information

Il existe des ouvrages plus connus de Frank Mackey et Dorothy Williams⁠1 sur l’histoire des Canadiens noirs, mais trop peu sur les autochtones et la communauté d’origine chinoise, regrette Taïna Mueth.

Trop peu de gens connaissent le chef huron Kondiaronk, à qui l’on doit la Grande paix de Montréal. D’autres ignorent que le tiers du Quartier chinois a été rasé en 1970 pour la construction du Palais des congrès et du Complexe Guy-Favreau (heureusement, il vient d’être classé comme un lieu historique).

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Des activités sont offertes en marge de l’exposition. Samedi, des archivistes de l’Université Concordia donneront accès au public à des photos d’époque.

Le pouvoir du sentiment d’appartenance

Le collectif Je suis Montréal est né avec le constat désolant que beaucoup d’enfants d’immigrés souffrent d’un manque de sentiment d’appartenance alors qu’ils sont tous nés ici, rappelle Taïna Mueth. Les identités de la fille d’une mère haïtienne et d’un père camerounais, tombés amoureux à Montréal, sont multiples, et elle les embrasse toutes.

Myriam Olmand a « Montréal tatoué sur le cœur », bien qu’elle se soit aussi déjà sentie perdue dans la définition de son identité. « Je n’ai pas à entrer dans une seule case. Je suis qui je suis », dit celle qui travaille aux communications du Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James.

On leur souhaite ce pour quoi elles sont bien parties : passer à l’histoire après l’avoir refaite.

1. Dorothy Williams donne une conférence jeudi soir à Pointe-à-Callière dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs.

Consultez la page de l’exposition