Elle hante le folklore et l’imaginaire québécois depuis plus de 250 ans. La Corriveau, dont l’histoire a presque effacé le prénom, est désormais au cœur d’une pièce de théâtre musical superbement menée qui tente, avec succès, de la réhabiliter.

Créé par la compagnie du Théâtre de l’Œil ouvert, le spectacle musical La Corriveau – La soif des corbeaux s’attarde au triste destin de Marie-Josephte Corriveau, pendue pour avoir assassiné son second mari, le colérique Louis Dodier, en 1763. Son cadavre, exhibé aux regards des passants dans une cage en acier, a marqué l’imaginaire de tout un peuple, à une époque déjà traumatisée par la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques.

Ce fait divers est devenu une légende pour faire peur aux enfants : La Corriveau s’est métamorphosée avec l’enflure du temps en une sorcière aussi cruelle que Barbe-Bleue, ayant envoyé à trépas pas moins de sept maris.

PHOTO THIERRY DUBOIS, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DE L’ŒIL OUVERT

Jade Bruneau, à gauche, incarne Marie-Josephte Corriveau. À droite : José Dufour, qui tient le rôle de son avocat.

Un tour de force

Avec une créativité exceptionnelle, la compagnie fondée par Jade Bruneau – qui signe ici la mise en scène et porte sur ses épaules le rôle-titre de la pièce – et Simon Fréchette-Daoust – qui incarne Louis Dodier – réussit un véritable tour de force. Car il faut le dire : la compagnie n’a pas les moyens des grandes productions qui débarquent sur nos scènes portées par les vents de Broadway.

Qu’importe. La Corriveau – La soif des corbeaux nous emporte avec ingéniosité et beaucoup de sincérité dans une histoire captivante, enracinée au plus profond de notre terroir.

Même si le dénouement est connu avant que la première note ne soit jouée, on se laisse guider avec un bonheur qu’on ne saurait bouder par ces huit interprètes, très solides dans le jeu comme dans le chant.

L’un des grands mérites de cette production résolument féministe est de se déployer au rythme de musiques et de chansons originales. Et quelles chansons ce sont ! Il faut souligner la qualité des paroles imaginées par Geneviève Beaudet et Félix Léveillé, ainsi que celle de la composition signée Audrey Thériault, dans un arrangement musical de Marc-André Perron. Certaines pièces, notamment la chanson aux accents trad La folle à Dodier, sont de petits bijoux qui nous restent en tête bien après la représentation, signe de leur efficacité.

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Quelques bémols

Certes, tout n’est pas parfait dans cette production : les textes récités pèchent parfois par une certaine lourdeur, imposée par des rimes pas toujours bien avisées, et le choix de ponctuer le récit de quelques anachronismes fait sourciller (comme ce téléphone portable qui arrive dans le récit comme un cheveu indésirable sur la soupe). Le public aurait compris – sans qu’on le lui souligne un peu trop fortement – que les ouï-dire des parvis d’église du XVIIIsiècle ont été remplacés aujourd’hui par les rumeurs malveillantes des réseaux sociaux... Mais ce sont là des bémols somme toute mineurs dans une production d’une envergure à laquelle – on l’avoue – on ne s’attendait pas.

Avec 13 années d’activité au compteur, le Théâtre de l’Œil ouvert fait sans conteste partie de la plus brillante relève sur laquelle le Québec peut compter en matière de théâtre musical. Espérons que ses artisans ont dans leurs cartons encore bien des histoires à nous raconter... D’ailleurs, le prochain rendez-vous est déjà fixé pour le mois d’août, avec le spectacle Belmont, inspiré de l’œuvre de Diane Dufresne.

Consultez le site du spectacle
La Corriveau – La soif des corbeaux

La Corriveau – La soif des corbeaux

Théâtre musical mis en scène par Jade Bruneau, avec huit interprètes

La Corriveau – La soif des corbeaux est présentée les 16 et 17 juin au Monument-National de Montréal.
La pièce partira ensuite en tournée, du 6 au 29 juillet au Centre culturel Desjardins de Joliette, puis du 10 au 26 août au Carré 150 de Victoriaville.
Plusieurs autres dates sont prévues jusqu’en avril 2024.

7,5/10