On connaît tous les pensionnats pour Autochtones. Mais que sait-on vraiment de la rafle des années 1960 ?

Depuis des années, l’ethnologue et chroniqueuse wendat Isabelle Picard travaille entre autres comme conférencière et comme consultante pour faire connaître l’histoire et les réalités des Premiers Peuples du Québec. Et après avoir écrit la série jeunesse Nish, voilà qu’elle signe maintenant un premier roman pour adultes, Des glaçons comme du verre, inspiré de l’histoire de sa propre famille et de celle d’autres Autochtones qui ont vu les leurs éparpillés aux quatre coins de la province durant les années 1950 et 1960.

Les piliers de la famille Picard, ce sont Henri et Belle, qui vivent au Village Huron – l’ancien nom de Wendake. Vers la fin des années 1950, soit au début du roman, la mère de famille succombe à un cancer qui laissera son mari seul avec leurs 10 enfants. L’aînée, Liliane, entreprend alors de s’occuper de ses jeunes frères et sœurs, aidée de ses tantes lorsque son père doit partir travailler dans le bois. Mais l’État, par l’entremise de l’agent des Affaires indiennes (qui gère toutes les affaires courantes de la réserve), ne les laisse pas tranquilles.

Un à un, Henri verra tous ses enfants, sauf Liliane, envoyés dans des orphelinats, des familles d’accueil ou des écoles de redressement – et même adoptés sans l’accord de leur père –, sous prétexte que « c’est mieux ainsi ».

« Ça coûtait cher, les pensionnats, explique Isabelle Picard, rencontrée lors de son passage à Montréal. En famille d’accueil, dans les écoles de redressement, en nous faisant adopter, ça coûtait moins cher. C’était une autre façon de nous assimiler, mais ils arrivaient à leur but quand même. »

Fouiller dans les mémoires

Isabelle Picard l’admet, le sujet est encore délicat dans les communautés. Elle a attendu d’être elle-même prête pour raconter cette histoire – prête pour aller fouiller « les endroits sombres dans les mémoires » de ses oncles, de ses tantes et de son père, qui n’avaient pas nécessairement envie de parler. Puis sa tante – la Liliane du roman, qui a maintenant 80 ans et qui continue de veiller sur toute la famille – et son père l’ont tous les deux encouragée à raconter cette histoire.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Isabelle Picard

Pour moi, c’était un besoin. J’avais besoin de combler des trous. J’avais besoin de savoir des choses parce que j’avais entendu des histoires, quand j’étais petite.

Isabelle Picard, ethnologue, chroniqueuse et autrice

« J’entendais mes oncles et mes tantes qui racontaient des souvenirs de quand ils étaient jeunes. Ils se servaient beaucoup de l’humour pour dédramatiser, mais c’était lourd. Et j’avais besoin de créer une espèce de ficelle qui relie tout ça. »

Des glaçons comme du verre est un roman prenant, qui se lit d’une traite. Un roman dont on fait défiler les pages avec un mélange de colère et d’indignation, bien qu’Isabelle Picard ne prenne jamais parti. C’est tout en nuances qu’elle a construit des personnages qui ne sont ni tout à fait bons ni tout à fait mauvais, mais plutôt coincés dans un entre-deux. Et au passage, elle a planté « des petites graines » qui nous poussent à vouloir en savoir plus sur ce qui s’est vraiment passé au cours de ces années-là.

« Je n’ai pas tout trouvé et c’est pour ça que j’ai utilisé le roman, au lieu du récit, dit-elle, parce qu’il y a encore des blancs. Je n’ai pas voulu pousser des portes que les gens ne voulaient pas ouvrir. J’ai respecté ça. » Elle ne parle pas des agressions qui ont été subies, par exemple, même si on les devine entre les lignes.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Isabelle Picard au Salon du livre de Montréal en novembre dernier

À son avis, le roman est aussi une autre façon d’enseigner et de transmettre, ajoute l’ethnologue qui se déplace d’ailleurs dans les écoles pour rencontrer les jeunes. Les romans de sa série Nish, qui ont connu un très grand succès auprès des jeunes, sont même dans les lectures obligatoires de nombreuses écoles maintenant (notamment à Montréal), ce qui permet aux enseignants de discuter de plusieurs questions qui ne sont pas au programme avec leurs élèves.

Connaître son histoire, sa langue, sa culture, sa spiritualité vient insuffler une force intérieure incomparable chez un peuple, souligne Isabelle Picard. « Je le sais parce que j’ai vécu les 13 premières années de ma vie sans y avoir accès. Après, il y a eu cette espèce d’éveil, et on a appris. J’ai connu les deux et la différence… mon Dieu, ce n’est pas pareil ! Quand on connaît sa culture, on communique avec le territoire, on comprend comment la langue fonctionne – non seulement les mots, mais toute la vision du monde qui est derrière. C’est extraordinaire ! »

Des glaçons comme du verre

Des glaçons comme du verre

Flammarion Québec

394 pages