« La boucle est bouclée »
C’est une vieille demeure des Laurentides qui n’avait pas la meilleure réputation. Jadis, elle aurait servi de maison de passe pour les commis voyageurs. Mais la barre a été redressée quand les grands-parents de Patrick Côté l’ont acquise pour y élever leurs quatre enfants. C’est ainsi qu’en 1940, la mère de ce dernier y voit le jour avant d’y grandir, puis d’en prendre possession avec son mari au cours des années 1970. La maison de Saint-Donat est alors convertie en chalet, puis reconvertie en foyer familial dans les années 1980. Après la mort du père de M. Côté, sa mère se retrouve seule dans cette maison déclinante et trop grande à entretenir, ce qui la pousse à la vendre au début des années 2000. « La maison quitte la famille pour la première fois depuis 1940… », regrette Patrick Côté.
Le nouveau propriétaire lui offre une cure de jouvence complète, avant de passer l’arme à gauche en 2019. Sa fille, qui doit en hériter, ne souhaite pas la conserver. « Elle me fait visiter la maison, ma maison, j’en ai les larmes aux yeux, car je me revois ici 35 ans avant. Ma chambre n’a pas changé, elle est au deuxième étage, où il n’y a pas eu de rénovation », confie notre lecteur, qui formulera une offre avec sa conjointe la semaine suivante. La transaction est acceptée, et la demeure redevient un chalet… puis de nouveau un foyer, puisque la mère de M. Côté accepte de revenir y loger, recevant aide et visites familiales toutes les semaines. « Plus tard, elle m’a dit que quand elle avait vendu la maison, elle savait qu’elle y reviendrait », relate-t-il.
Et elle devrait bientôt être rejointe par son fils et sa belle-fille, qui prévoient de quitter la banlieue nord montréalaise pour s’installer à temps plein dans le logis patrimonial. « Le plus beau de toute cette histoire, c’est que ma mère dort dans la chambre où elle est née il y 83 ans… La boucle est bouclée », s’émeut notre lecteur.
La « vieille maison dans la maison »
Le récit de Michel Barrette a eu une résonance particulière pour Miville Tremblay, également résidant du Saguenay, qui a développé une relation forte avec la maison bâtie par son grand-père à Saint-Honoré, en 1924. En 2003, il l’a rachetée à son père, avant de lancer, en 2020, un chantier peu commun : effectuer des rénovations qui envelopperaient l’ancienne structure, une sorte de seconde peau pour préserver le cœur et le cachet originaux. « Combien de fois nous a-t-on dit de la démolir ! Aujourd’hui, la ‟vieille maison dans la maison” est notre plus grande fierté. Chaque fois qu’une personne en franchit le seuil, elle retombe en enfance, raconte ses souvenirs, et on peut voir dans ses yeux des étoiles de bonheur. C’est sans prix », décrit M. Tremblay.
Les travaux artisanaux dans la partie ancienne touchent à leur fin et le propriétaire espère que tout sera bouclé cette année, à temps pour célébrer le centenaire de sa maison d’enfance.
Lisez notre article « Le projet fou de Michel Barrette »Tel un phœnix, un chalet ressuscité
Dans bien des familles, le chalet, c’est chose sacrée. En particulier chez les Guertin, dont l’aïeul avait bâti un logis en bois rond au bord d’un lac de Saint-Alphonse, dans Lanaudière. « L’histoire disait que mon grand-père, qui exportait du grain pendant la guerre, avait envoyé un chargement qui avait été coulé. Il avait dû envoyer un deuxième voyage, avec lequel il a fait un coup d’argent, ce qui lui a permis d’acheter le terrain et de faire construire le chalet », raconte Marie Guertin.
Le père de cette dernière, qui avait participé à la construction dans sa jeunesse, adorait y séjourner, toutes les fins de semaine et l’été au complet, y entraînant sa petite famille pour lui léguer des souvenirs impérissables. Il y poussera même son dernier souffle. C’est ainsi que le chalet a échu dans le giron de la sœur de Marie Guertin. Mais un drame la guettait : il y a quelques années, les lumières du sapin de Noël ont pris feu, provoquant un incendie général et réduisant les lieux en cendres. « Il a été reconstruit à neuf, beaucoup plus grand, mieux isolé, avec la même forme environ. Et ma sœur y vit maintenant à temps plein », nous rassure Mme Guertin.
Guetter la pancarte « À vendre »
« Mon histoire ressemble à celle de Michel Barrette… à l’exception que moi, je n’ai pas encore acheté la maison qui a vu naître mon grand-père et ma mère », lance Esther Tremblay, évoquant une demeure de Compton où toute sa famille se réunissait à l’occasion des vacances ; les adultes y dormaient dans les chambres fermées, tandis que jusqu’à huit enfants passaient la nuit dans le salon double.
Alors que Mme Tremblay entrait au cégep, ses grands-parents ont vendu la maison pour 55 000 $, au grand désarroi de la jeune femme, qui aurait tant souhaité l’acheter. Bien des années plus tard, dans la foulée des funérailles de sa grand-mère, elle a eu l’occasion de visiter la maison, passée aux mains d’un universitaire, qui l’avait rénovée. Dès ce moment, Esther Tremblay a chargé son oncle, résidant à deux pas, de jouer les espions en guettant une éventuelle mise en vente. À ce jour, celle-ci ne s’est pas encore produite, mais la femme ne perd pas espoir, faisant même réaliser une aquarelle représentant la demeure de Compton. « Elle orne mon bureau depuis, et chaque fois que je lève le regard de mon ordinateur, je vois cette maison que je rêve encore d’acheter », confie-t-elle. Sa patience sera-t-elle récompensée ? On le lui souhaite.
Le passé caché dans les murs
Née en France à la fin des années 1960, Corinne Brichet a émigré au Québec avec ses parents à l’âge de 2 ans. Au fil des années, on lui a servi une certaine version de cet exode, soi-disant motivé par une incitation économique fédérale. Mais un beau jour, un homme la contacte : il s’agit de son demi-frère, issu du premier mariage de son père, et resté sur le Vieux Continent. Mme Brichet s’envole pour le rencontrer et, ensemble, ils se rendent à l’ancienne maison de leurs parents, au village de Ruffec dans les Charentes, dans l’ouest du pays. Un voile se déchire. « J’ai eu une autre histoire de l’exode. La fuite en pleine nuit avec des passeports délivrés un mois plus tôt avec l’aide d’un oncle douanier », explique-t-elle, soupçonnant que sa famille était alors criblée de dettes.
Dans l’ancienne demeure, toujours occupée par la dame l’ayant directement acquise des parents de Mme Brichet, le choc est brutal, puisque rien n’a changé, tous les objets laissés dans la fuite précipitée (c’est-à-dire la quasi-totalité de leurs biens) y ont été conservés.
« À notre départ, après une visite émotive, la dame nous a donné deux statuettes ayant appartenu à mes parents. Une pour moi, une pour mon demi-frère. Cette visite a été un des beaux moments de ma vie. J’ai pu me connecter à mes racines subitement coupées par ma famille », se réjouit-elle.