On l’a qualifié de fou. Lui-même reconnaît le côté un peu fêlé de la chose. Mais la nostalgie était trop forte. Michel Barrette raconte comment il a racheté la maison de ses grands-parents, où il a été élevé, pour la réaménager exactement comme elle l’était dans les années 1950. Un récit ouvrant la porte tant aux joies qu’aux larmes.

Certains ont un attachement viscéral à leur maison d’enfance. Pour l’humoriste, cet amour intense se ressent sitôt qu’il évoque la demeure de Chicoutimi où il a grandi. En ces murs, il entend encore résonner les voix de ses grands-parents, Jean-Marie Barrette et Rose-Hélène Asselin, qui ont veillé sur lui durant ses jeunes années. Une maisonnée où grand-papa aimait que les choses soient exactement à leur place. « Si un cendrier était légèrement déplacé, il le remarquait et le replaçait tout de suite. C’était le genre d’homme qui ne changeait rien », explique Michel Barrette.

PHOTO FOURNIE PAR MICHEL BARRETTE

Les parents de l’artiste, Lucien Barrette et Noëlla Asselin, devant la maison familiale de Chicoutimi

Cet esprit de lieu figé dans le temps l’a guidé quand le bâtiment est revenu dans son giron, des années après qu’il a quitté le nid.

Vendu !

Tout débute par un drame. En 1977, son grand-père franchit le seuil de la maison pour une sortie « sans savoir qu’il n’y retournerait jamais », lâche l’artiste, à l’époque âgé de 20 ans. Un terrible accident de la route fauchera plusieurs vies et brisera celle de Jean-Marie, le laissant estropié et confiné à un foyer pour personnes âgées.

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Jean-Marie Barrette en compagnie de son petit-fils Michel

La maison à étages sort alors du patrimoine familial et sera, deux décennies durant, habitée par d’autres occupants. Accélérons la cassette du temps jusqu’en 1996 : Michel Barrette se trouve sur le tournage du Bye bye annuel, à Chicoutimi. À ses côtés, Yvon Deschamps, connaissant le béguin de son ami pour sa demeure d’enfance, demande au chauffeur de l’auto qui les reconduit après leur journée de travail de faire un détour, histoire de passer devant. Tandis que le véhicule longe la propriété, les souvenirs de Michel virevoltent comme dans une boule à neige. Entre alors en scène Guy A. Lepage.

Quelques jours plus tard, ce dernier et Michel se retrouvent devant la fameuse adresse au gré d’une promenade. Les rideaux jaunes du garage, jadis installés par grand-maman Asselin, sont toujours là. « Guy m’a demandé si j’étais déjà rentré dans la maison depuis mon départ. Non, pas depuis 1977. Il a dit : “On y va.” Je ne voulais pas déranger les gens », raconte l’humoriste. Mais Lepage et sa grande gueule se dirigent déjà vers le palier, lançant : « Ben là, ils auront deux vedettes pour le prix d’une ! »

Deux dames leur ouvrent la porte et les invitent à entrer. L’enfant prodigue est happé par un tourbillon : « Je capotais. À part les meubles, tout était pareil, elles n’avaient fait tomber aucun mur », se rappelle-t-il, retrouvant jusqu’aux marques laissées par sa bicyclette près de l’escalier.

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Michel Barrette, rompu à l’espièglerie dès l’enfance, ici à l’égard de sa sœur Sylvie

1997. Michel Barrette reçoit un appel de sa sœur qui lui apprend que la maison de leurs grands-parents est à vendre. Le sang de l’animateur ne fait qu’un tour, il se rue sur son combiné. « Allô, madame ? Vendu ! La maison, c’est vendu ! » À son interlocutrice déroutée qui cherche à le tempérer, il envoie une seconde salve : « Je ne veux pas savoir le prix. Vendu, vendu, vendu ! », insiste-t-il.

Entre relique et réplique

Le cœur serré, il retrouve ainsi sa chambre d’ado au sous-sol, sa chambre d’enfant à l’étage, ainsi que les pièces communes où tant de saynètes familiales s’étaient jouées. Mais la plus grande surprise se trouve derrière la porte du garage, que les deux anciennes occupantes, dépourvues d’auto, n’avaient pas poussée depuis 20 années ! Malgré la lumière tamisée par la couche de poussière accumulée sur le globe, Michel distingue quelques vestiges. Le marteau de son grand-père. Son arrosoir. Et bien d’autres éléments exhumés du passé.

  • Sa chambre d’adolescent, cristallisée dans le temps

    PHOTO FOURNIE PAR MICHEL BARRETTE

    Sa chambre d’adolescent, cristallisée dans le temps

  • Les livres, cartes et autres objets sont tous restés en place.

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    Les livres, cartes et autres objets sont tous restés en place.

  • Sa chambre d’enfant, à l’étage

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    Sa chambre d’enfant, à l’étage

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C’est ici que l’histoire prend un tournant particulier. « Pendant deux ans, j’ai récolté mes vieilles photos des années 1950 et celles de la famille où figuraient les pièces de la maison. Je regardais chaque objet, sur chaque meuble, pour les remettre exactement au même endroit. J’ai tout remis à sa place, comme si j’avais à reproduire la scène de l’assassinat de Kennedy », confie l’humoriste.

Personne n’a eu accès aux lieux durant ce temps-là. Sauf son père. « Quand il a vu ça, il m’a dit que j’étais fou. Moi, j’avais besoin qu’il me dise à quelle hauteur était placée l’horloge de grand-papa. “Michel, on s’en câlisse”, mais j’ai tenu mon bout : “Non, on s’en câlisse pas. Je veux que tout soit à la même place qu’avant.” Il m’a alors demandé de frapper le mur. Quoi ? Il insiste. Je frappe. Il me dit : “Plus fort !” »

Sous ses coups, deux morceaux de plâtre, qui avaient servi à reboucher les orifices où était naguère fichée l’horloge, tombent au sol. Le voilà, l’emplacement. « Je me suis mis à frapper partout dans la maison », rit-il.

  • Le salon, sur une photo d’époque

    PHOTO FOURNIE PAR MICHEL BARRETTE

    Le salon, sur une photo d’époque

  • La cuisine, remise telle qu’elle était autrefois, avec son frigo de l'époque

    PHOTO FOURNIE PAR MICHEL BARRETTE

    La cuisine, remise telle qu’elle était autrefois, avec son frigo de l'époque

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Une fois le décor du passé ressuscité, la famille est conviée à découvrir la maison remise sur pied, à l’occasion d’une soirée de Noël où les invités étaient priés de se vêtir à la mode des années 1950. Michel Barrette se pare de l’accoutrement de Jean-Marie, de ses lunettes, et se présente aux bras de sa grand-mère. « C’était un peu creepy ! », avoue l’hôte. Au quotidien, il passe ses journées sur la galerie, ou rêvasse en écoutant ses vieux 33 tours dans sa chambre. « Un jour, je tournais à Montréal avec Gildor Roy et je lui ai dit que je rentrerais le soir à la maison du grand-père. Il n’en revenait pas : “Tu vas faire l’aller-retour Montréal-Chicoutimi et te présenter demain matin pour le tournage ?” Et je l’ai fait ! »

Au gré des regrets

Cependant, comme des fourmis charpentières grugeant des poutres à petit feu, des fantômes commencent à ronger le nouvel occupant des lieux, 15 ans après le rachat. La peur d’un incendie, d’un vol… Les bons moments passés sur place se trouvent peu à peu éclipsés par une anxiété galopante. « Ma femme m’a dit que j’avais moins de plaisir que d’inquiétude. Elle m’a suggéré de vendre la maison », rapporte-t-il. Après mûre réflexion, il la revend à un ami de la famille. En voyant la demeure se vider, son cœur saigne. « Faites ça le plus vite possible. Ne parlez pas à Michel, s’il vous accroche le bras, dégagez-vous », dit sa femme aux déménageurs.

Dans le logis dépouillé, il s’assoit une dernière fois, guettant l’approbation de son défunt grand-père. « J’ai senti qu’il m’a dit que c’était correct. Et je suis parti. Mais je regrette de l’avoir vendue. Je regrette tellement… », lâche-t-il, émotif.

PHOTO FOURNIE PAR MICHEL BARRETTE

La maison a accueilli de nombreuses célébrations familiales.

Un beau jour, en repassant devant la fameuse demeure de Chicoutimi, Michel Barrette aperçoit un couple y emménageant. Il l’interpelle sec : « Vous êtes dans ma maison, icitte. » Face à l’incompréhension des nouveaux acheteurs, il s’explique, en s’installant avec eux sur la galerie et en leur racontant ce même récit.

Si vous voyez un panneau « À vendre » sur le terrain de la maison de grand-maman Asselin et de grand-papa Barrette, n’hésitez pas à le signaler à leur petit-fils. Il n’est pas exclu qu’il s’exclame une nouvelle fois : « Vendu, vendu, vendu ! »

Appel à tous

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