Réduire à zéro la pollution provoquée par la rénovation domiciliaire relève presque de l’impossible, ont constaté avec déception deux chercheurs montréalais en architecture au terme d’un projet empli d’embûches. Cette expérience leur a cependant fourni des pistes de solution pour améliorer le bilan carbone de l’industrie.

Pour un chantier majeur de rénovation, il est très souvent plus facile et moins coûteux de faire table rase pour reconstruire avec des matériaux neufs, reconnaissent Alexandre Landry et Bechara Helal, tous deux enseignants à l’École d’architecture de l’Université de Montréal (UdeM).

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Bechara Helal en compagnie de l’architecte Alexandre Landry. Tous deux sont professeurs à l’école d’’architecture de l'Université de Montréal.

Dénuder un appartement, même partiellement, permet en effet de réaménager l’espace au goût du propriétaire, d’acheter de nouveaux éléments auprès d’une grande variété de fournisseurs et de garder un certain contrôle sur son budget et sur l’échéancier.

Le bilan environnemental de cette façon de faire est cependant très lourd, car la majeure partie des débris s’en va habituellement remplir les dépotoirs, rappellent MM. Landry et Helal. Seule une petite fraction des matériaux est réutilisée dans le projet ou est acheminée chez des récupérateurs. La production des matériaux neufs s’ajoute à l’empreinte carbone.

« De plus, il y a une perte de patrimoine. Quand on abat toutes les cloisons, on perd la richesse de l’art de vivre dans ces appartements montréalais d’une certaine époque », affirme Alexandre Landry.

Mais, de manière réaliste, est-il vraiment possible de s’y prendre autrement ?

ESQUISSE FOURNIE PAR ALEXANDRE LANDRY

Avec l’entrepreneur général 3/4 Fort, l’équipe a cherché à créer un effet maximal avec un minimum de démolition

Pour trouver les réponses à cette question, les deux universitaires ont convaincu un couple de Villeray, désireux d’entreprendre une grande rénovation de son triplex, de tenter une expérience baptisée « Le duplex circulaire ».

« L’idée était de mettre l’accent sur la réutilisation de certains éléments constructifs et le réemploi de certains matériaux retirés de l’aménagement ou disponibles dans les centres de réemploi », explique Alexandre Landry.

Comme de l’acupuncture

  • Autre objectif : réutilisation de certains éléments constructifs et le réemploi de certains matériaux retirés de l’aménagement ou disponibles dans les centres de réemploi.

    ESQUISSE FOURNIE PAR ALEXANDRE LANDRY

    Autre objectif : réutilisation de certains éléments constructifs et le réemploi de certains matériaux retirés de l’aménagement ou disponibles dans les centres de réemploi.

  • Le projet-pilote, en série d’esquisses

    ESQUISSE FOURNIE PAR ALEXANDRE LANDRY

    Le projet-pilote, en série d’esquisses

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Les deux propriétaires du triplex, construit à la fin des années 1920, caressaient l’idée d’agrandir leur chez-eux en jumelant leur appartement à celui du sous-sol. Avec trois enfants en pleine croissance, le besoin d’espace devenait une nécessité.

Le couple était intéressé, au départ, par la portée sociale et environnementale du projet circulaire.

Alexandre Landry, architecte et chercheur à l’École d’architecture de l’UdeM

Un entrepreneur général réputé pour son approche environnementale, L’Atelier 3/4 fort, a aussi démontré de l’intérêt pour le projet. Chose rare dans le domaine de la construction, il s’est joint à l’équipe dès l’étape de conception. « Nous avons pu bénéficier de la sensibilité et de l’expertise du terrain de cet entrepreneur », se réjouit Bechara Helal.

D’un commun accord, l’équipe a cherché comment créer un effet maximal avec un minimum de démolition. « Alexandre appelle ça de l’acupuncture architecturale, glisse M. Helal. Nous avons posé des gestes à des endroits précis dans le bâtiment. »

Par exemple, l’emplacement des pièces originales a notamment été conservé pour éviter l’ajout de colonnes et de poutres. « Des ouvertures stratégiques ont plutôt été découpées pour créer une plus grande fluidité sans faire une grande aire ouverte », explique Alexandre Landry.

« De cette façon, on conserve le caractère initial du bâtiment, mais on y ajoute des fonctionnalités et on y fait entrer plus de lumière, poursuit-il. En fin de compte, on démolit moins que dans un projet standard. »

Chemin de croix

Les embûches se sont néanmoins multipliées au cours du projet.

Dès le départ, les concepteurs ont éprouvé des difficultés à déterminer où agir sur un bâtiment presque centenaire sans connaître ce qui se cache dans les murs et les cloisons. Quelques imprévus ont forcé des ajustements ou la résolution de problèmes de conception, admettent-ils dans leur rapport de recherche.

L’entrepreneur a ensuite connu des problèmes d’approvisionnement dans les centres de matériaux récupérés. Des éléments prévus initialement n’étaient plus disponibles, une fois à l’étape de la réalisation.

Le budget de la famille ne permettait pas non plus la fabrication du mobilier sur mesure suggéré pour exploiter le potentiel de certains éléments de l’appartement, comme l’arche du salon double. Les propriétaires ont préféré acheter du mobilier standard neuf, moins coûteux. L’idée de réemployer des éléments, comme celle de bâtir l’îlot de cuisine à partir des anciennes armoires, a aussi été mise au rancart.

Enfin, des cloisons de gypse ont été préférées à des cloisons amovibles au sous-sol, « bien que celles-ci ne s’arriment pas avec les interventions circulaires initialement envisagées », lit-on dans le rapport.

Les travaux, amorcés en mai 2022, se sont terminés en février dernier.

Leçons apprises

Alexandre Landry ne cache pas sa déception.

« Le projet ne respecte pas le concept d’économie circulaire », concède-t-il sans jeter la pierre aux propriétaires du triplex. « À l’évidence, les obstacles sont encore trop présents pour atteindre cet objectif. »

L’expérience a néanmoins été riche en apprentissages, s’empresse-t-il d’ajouter en énumérant une série de pistes de solution : des incitatifs financiers aux propriétaires intéressés, un répertoire numérisé de la chaîne d’approvisionnement circulaire, l’inclusion des donneurs d’ouvrage dès l’étape de conception de chaque projet…

« Avec L’Atelier 3/4 fort, nous voulons aussi développer du mobilier plug-in à montrer aux clients, comme du rangement ou des fonctions de bureau ajoutées à des arches. Ou encore des escaliers qui offrent des espaces de rangement », illustre l’architecte, qui souhaite trouver des propriétaires désireux de prendre part à un second projet de recherche.

Dans une optique à long terme, Alexandre Landry et Bechara Helal entretiennent l’espoir de défaire la perception populaire qu’une architecture issue du recyclage est de moindre qualité.

« On cherche encore nos repères. Cette expérience nous a permis de voir ce qui bloque sur le terrain. Ces leçons vont nous servir la prochaine fois », conclut M. Helal.