C’est un livre criant d’actualité que propose Catherine Leroux avec Peuple de verre, cinquième roman sombre, lucide et confrontant sur la crise du logement et de l’itinérance.

« Je le voulais plus dur, celui-là, explique l’autrice en entrevue. Parfois c’est aux artistes de montrer le petit bout de lumière vers lequel on peut se tourner. Mais des fois, ça peut être une question adressée à la société : ben là, trouvons-la, notre raison d’espérer. »

Lorsque Catherine Leroux a commencé à écrire son livre, la crise de logement n’était pas encore ce qu’elle est maintenant. « À un moment donné je me disais : il faut que j’écrive vite, parce que la réalité est en train de rattraper la fiction ! »

Et si on ne fait rien, l’autrice ne voit pas comment on ne pourra pas se retrouver avec « une marée de gens qui n’ont plus de logis ». C’est pourquoi elle refuse de qualifier de dystopie ce livre qui est né alors qu’elle vivait elle-même dans la peur de se faire évincer de son appartement montréalais.

Dans Peuple de verre, on suit Sidonie, journaliste pour qui la notion de vérité et de mensonge est assez élastique. Pour son travail, elle s’intéresse aux campements de sans-abri qui s’étendent dans la ville, mais elle ira bientôt grossir les rangs des « inlogés » dans une institution qui ressemble pas mal à une prison.

C’est un roman d’anticipation pas très loin de notre présent. Est-ce qu’il y a des camps d’itinérants ? Oui. Est-ce qu’on a des solutions concrètes quand on les démantèle ? Non. Ça nous rassurerait que ce soit une dystopie, comme si ça ne pouvait pas arriver dans la vraie vie. Mais chaque chose que je raconte dans ce livre, sauf les éléments de magie, il y a un endroit dans le monde où ça arrive.

Catherine Leroux

L’autrice rappelle que l’histoire de l’humanité regorge de moments où on a enfermé les orphelins, les pauvres et les mendiants. Le phénomène des workhouses en Grande-Bretagne a été son inspiration première, et rappelle par exemple les asiles psychiatriques. « Des gens ont passé leur vie là-dedans. Je n’invente rien ! »

Il n’y a pas si longtemps, les images des enfants migrants qu’on enfermait dans des cages aux États-Unis l’ont hantée. « Ça ne se passait pas dans un pays en guerre, mais ici, au sud de la frontière. » Elle évoque aussi les aînés qui, au début de la pandémie, n’avaient pas le droit de sortir de leur CHSLD.

« Ç’a été un immense choc pour tout le monde de voir que l’État avait ce pouvoir. » C’est un autre des nombreux niveaux de lecture de ce roman qui parle aussi de l’inhumanité des institutions, de classes sociales et de privilèges – entre autres.

Mise en abyme

Comme l’a fait Kevin Lambert dans Que notre joie demeure, qui porte pas mal sur le même thème, Catherine Leroux a donné la parole à une protagoniste imparfaite et pas particulièrement aimable.

« Je ne veux pas que les gens pensent que j’ai copié sur Kevin, mon livre était déjà fini quand il a sorti le sien ! Nos romans sont différents, mais on a tous les deux voulu mettre en scène un personnage qui est ambigu par rapport à ce qui se passe. »

Les contradictions de Sidonie sont en fait celles qui habitent la classe moyenne en général, et on peut tout à fait s’identifier à elle dans sa chute.

On est potentiellement tous à un divorce, une maladie grave, un burn-out, une éviction, une bad luck de se retrouver pas dans la rue, mais pas loin.

Catherine Leroux

Dans ce cinquième roman, l’autrice en général secrète se dévoile beaucoup, en particulier dans un dernier chapitre en forme de journal d’écriture, où des éléments de sa vie nous renvoient à des scènes du roman dans une intéressante mise en abyme.

Mais attention : même là, le vrai et le faux ne sont pas toujours faciles à départager. Elle sourit. « J’aime mieux ne pas en dire trop là-dessus ! » C’est qu’au-delà de sa trame narrative, Peuple de verre est aussi un livre sur l’écriture.

« La question de la crise du logement était presque accessoire au début du projet. Je voulais écrire un livre sur le mensonge, la vérité et la fiction. C’est pour ça que je voulais des personnages qui mentent, un État qui ment, des médias qui mentent, des théories de conspiration qui viennent brouiller le jeu, des gens qui se mentent à eux-mêmes. »

Durée

Le précédent roman de Catherine Leroux, L’avenir, vient de remporter dans sa traduction anglaise le concours Canada Reads (la version anglophone du Combat des livres) sur les ondes de la CBC, quatre ans après sa sortie en français. Même si cette longévité a été exacerbée par la pandémie, qui a retardé sa publication en anglais, elle aime bien ne pas être celle qui remporte les succès les plus retentissants, mais dont les livres perdurent. « C’est un feu qui brûle longtemps. J’aime presque mieux ça. »

L’autrice de 44 ans souhaite la même vie à Peuple de verre, et même si elle essaie toujours de garder ses attentes modestes, elle avoue être « pleine d’espoir ». « J’espère que ça va résonner. »

On n’est pas inquiet : de livre en livre, Catherine Leroux déploie son écriture riche et ample au profit d’une profondeur qui ne se dément pas. Elle trouve en effet important d’utiliser sa voix avec pertinence, « il faut toujours que j’aille là où il y a de la matière, où c’est dense ». Et elle continue à croire à la puissance de la fiction, qui peut raconter la vérité avec exactitude et même, parfois, changer le monde.

« Beaucoup de nos échecs collectifs, ce sont aussi des échecs d’imagination. C’est un muscle que la fiction permet d’exercer. Pas juste pour ceux qui écrivent, mais pour ceux qui lisent aussi. »

En librairie le 2 avril

Peuple de verre

Peuple de verre

Alto

288 pages

Qui est Catherine Leroux ?

  • Catherine Leroux a été journaliste avant de lancer en 2011 son premier roman, La marche en forêt, qui a été finaliste au Prix des libraires.
  • Ses livres suivants, Le mur mitoyen, Madame Victoria et L’avenir, ont tous reçu différents prix, et la traduction anglaise du Mur mitoyen a même été finaliste pour le prestigieux prix Giller.
  • L’autrice est aussi traductrice de nombreux romans, dont Nous qui n’étions rien de Madeleine Thien, et éditrice chez Alto, qui publie aussi ses livres. Peuple de verre est son cinquième roman.