Vendu dans plus de 25 pays avant même d’avoir été publié en français, le premier roman de Thomas Schlesser, Les yeux de Mona, est une magnifique initiation à l’art à travers la relation exceptionnelle entre un grand-père et sa petite-fille. Un véritable conte littéraire, pourrait-on ajouter en refermant le livre, qui nous fait redécouvrir 52 œuvres d’art sous un nouveau jour.

Un phénomène littéraire

PHOTO ROBERTO FRANKENBERG, FOURNIE PAR ALBIN MICHEL

Thomas Schlesser

Historien de l’art, le Français Thomas Schlesser a écrit de nombreux essais. Mais il était jusqu’à présent un parfait inconnu dans le milieu de la littérature, un peu comme Giuliano da Empoli lorsqu’il a publié Le mage du Kremlin. Pourtant, Les yeux de Mona n’était même pas encore imprimé en français que son éditeur avait déjà vendu les droits de traduction des États-Unis à la Chine, en passant par l’Allemagne, l’Italie, la Turquie et le Japon, parmi tant d’autres. Comme quoi l’art parle peut-être bien une langue universelle… Ce qui n’est sûrement pas étranger non plus à cet engouement international pour le livre est le fait qu’il nous fait visiter trois musées parisiens parmi les plus célèbres au monde – le Louvre, Orsay et Beaubourg – tout en nous amenant à réfléchir sur des œuvres d’art que tout le monde connaît (signées Vinci, Goya, Manet, Monet, Turner, Van Gogh, Klimt, Cézanne…) et à en découvrir au passage quelques-unes un peu moins réputées. Les 52 œuvres sont d’ailleurs reproduites à l’intérieur de la couverture du livre qui se déplie comme une petite affiche.

Une histoire de transmission

PHOTO DMITRY KOSTYUKOV, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le musée d’Orsay, à Paris

« Tout devint sombre. » Le roman commence avec cette phrase funeste qui laisse entrevoir le pire. Sans crier gare, Mona perd la vue. Momentanément, du moins, puisqu’elle la retrouve près d’une heure plus tard. Ses parents l’emmènent immédiatement chez le médecin qui lui fait subir toute une batterie de tests. Celui-ci recommande également qu’elle consulte un psychiatre. C’est à son grand-père Henry que sera confiée la tâche de l’amener à ses rendez-vous hebdomadaires. Mais celui-ci, passionné d’art, a une tout autre idée en tête. « Si, par malheur, Mona devenait un jour aveugle à jamais, elle jouirait au moins d’une sorte de réservoir, au fond de son cerveau, où puiser des splendeurs visuelles », se dit-il. Ainsi, il lui propose plutôt de se rendre avec lui tous les mercredis dans l’un des grands musées de Paris, à l’insu de ses parents, et de découvrir une seule œuvre à la fois. D’abord en l’observant en silence, puis en discutant de ses impressions avec son grand-père, qui lui raconte en retour tout ce qu’il sait sur chacune d’entre elles, sur les intentions de l’artiste de même que sur le contexte dans lequel elles ont été créées. Un chapitre pour chacune des 52 œuvres, donc, que l’auteur prend soin de nous décrire chaque fois, à mesure que se déploie en arrière-plan le quotidien de cette fillette qui craint de devenir un jour aveugle.

Une cause personnelle

PHOTO FOURNIE PAR ALBIN MICHEL

Les 52 œuvres sont reproduites à l’intérieur de la couverture du livre qui se déplie comme une petite affiche.

Dans les nombreuses entrevues qu’il a accordées depuis la parution de son roman, Thomas Schlesser a raconté que Les yeux de Mona est né d’un drame personnel : le « non-avènement » d’un enfant. Il s’est donc inventé en quelque sorte une fille fictionnelle. Il a travaillé pendant toute une décennie à l’écriture de ce roman dont l’héroïne est une enfant de 10 ans lumineuse, passionnée, sensible, et surtout très attachée à son grand-père Henry (le roman est d’ailleurs dédié à « tous les grands-parents du monde »). L’auteur a également tenu à ce que ce son roman soit publié simultanément en braille et en gros caractères parce qu’à son avis, les mots ont le pouvoir de faire « voir » les œuvres d’art.

Une leçon de vie

PHOTO DMITRY KOSTYUKOV, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le Louvre, à Paris

Thomas Schlesser a confié que le plus grand défi derrière son roman a été de choisir les 52 œuvres d’art qui permettraient au personnage d’Henry d’en tirer des enseignements. De chacune d’entre elles, il parvient à extraire une leçon de vie qu’il transmet à Mona. « Souris à la vie. » « Connais-toi toi-même. » « Fais confiance à l’imagination. » « Chéris la mélancolie. » L’auteur insiste ainsi sur l’importance de chercher le message qui se cache derrière une œuvre d’art plutôt que de la contempler de façon passive. Il y a quelque chose d’attendrissant, aussi, dans ce lien si particulier qui unit Henry et Mona, dont la plus grande leçon sera sans doute de comprendre ce que grandir signifie. Si Les yeux de Mona fait sourire, émeut et transporte, on termine le livre avec l’envie irrésistible d’aller au musée. En s’imaginant qu’on croisera peut-être, au détour d’une allée, un vieil homme tenant la main de sa petite-fille.

Les yeux de Mona

Les yeux de Mona

Albin Michel

484 pages