Quand Stephen King encense un auteur dans le New York Times, on peut dire sans se tromper que celui-ci a de toute évidence atteint la consécration.

Cette critique de son roman Le sang des innocents, qui vient de paraître ici en français, Shawn A. Cosby l’a d’ailleurs encadrée et accrochée dans son bureau. « Que quelqu’un que je considère comme l’un des meilleurs écrivains des 50 dernières années dise qu’il a aimé le livre et qu’il le recommande sans équivoque, ça signifie tellement pour moi », confie au bout du fil l’écrivain qui habite dans les environs de Richmond, en Virginie.

Avec ce troisième roman traduit en français, l’auteur afro-américain construit un polar social encore plus noir que son précédent, La colère, qui avait été parmi nos coups de cœur de l’an dernier, toutes catégories confondues. Un polar social qui s’élève au rang des grands romans du genre parus ces dernières années – dont l’intensité rappelle des titres comme Le silence, de Dennis Lehane, ou encore Billy Summers, de Stephen King, justement.

Le sang des innocents aborde de front le racisme qui sévit encore dans le Sud, et Cosby n’y va pas avec des pincettes. En Virginie, où bien des comtés ont été fondés dans la violence et le sang, on se dispute encore pour conserver un mémorial confédéré. Et c’est dans ce contexte tendu que son protagoniste, Titus Crown, devient le premier shérif noir d’une petite ville fictive, mais semblable à s’y méprendre à tant d’autres dans ces anciennes régions sudistes des États-Unis. Une petite ville comme celle où il a grandi, où tout le monde se connaît et se jauge à la couleur de sa peau.

Les personnages de mes romans précédents ne sont pas des héros. Ils sont brisés, en deuil et en colère. Mais Titus, lui, je crois qu’il est un héros. Il a compris le pouvoir qui vient avec l’uniforme et il est déterminé à traiter tout le monde de façon juste. Mais ce n’est pas simple parce que les Blancs ne le respectent pas, tandis que les gens de sa communauté le voient comme un traître.

Shawn A. Cosby

Critique sociale

Comme tout bon polar, Le sang des innocents commence avec un meurtre. Un jeune Noir tue son ancien professeur dans sa classe et les policiers, craignant qu’il ne fasse d’autres victimes, se voient forcés de l’abattre sur les marches de l’école. Un scénario comme la réalité en produit trop souvent chez nos voisins du Sud... Sauf que l’affaire est bien plus complexe qu’elle n’en a l’air. Le shérif va découvrir au fil de son enquête une histoire d’horreur que personne ne soupçonnait et qui vient raviver la méfiance de la communauté noire envers les forces de l’ordre.

« Dans le polar, on peut parler d’hypocrisie religieuse, d’homophobie, de racisme, de misogynie, estime Shawn A. Cosby. J’aime dire que le genre policier est l’évangile des dépossédés. » L’écrivain aime bien rappeler également que le polar est le nouveau roman de la critique sociale. Et s’il se montre si critique envers ce Sud « hanté » par tous ces maux, dit-il, c’est parce qu’il l’aime profondément.

Parmi ses influences, celui qui était un « lecteur vorace » depuis son enfance et rêvait de devenir écrivain, encouragé par sa mère, cite entre autres Raymond Chandler. C’est d’ailleurs sa tante, grande lectrice de romans d’horreur, qui lui avait offert son premier Stephen King. Plus récemment, la série télévisée True Detective et sa première saison « phénomènale » ont aussi beaucoup déteint sur lui. Mais ce sont surtout ses discussions avec des policiers afro-américains qui lui ont permis de construire un personnage d’une grande profondeur comme Titus, pris entre deux feux.

Rêve accompli

Après des années passées à écrire pour lui-même, publiant quelques nouvelles ici et là, Shawn A. Cosby peut enfin dire qu’il a accompli son rêve. Il a même écrit un premier livre pour adolescents avec le musicien Questlove, qui est venu le chercher après avoir lu son roman Les routes oubliées. Et entre ses voyages pour la promotion du Sang des innocents, traduit dans une dizaine de pays à ce jour (notamment en Norvège, où il cartonne, paraît-il, et doit se rendre dans les jours qui suivent), il trouve quand même le temps de travailler sur son prochain polar, qui s’intitulera King of Ashes, en anglais.

« C’est un roman policier qui se déroule à nouveau en Virginie. Trois frères possèdent un crématorium avec leur père et, au début de l’intrigue, le fils aîné, qui habite dans un autre État, rentre à la maison parce que son père a eu un accident de voiture. Il découvre que son petit frère a des ennuis avec des gangsters et qu’ils auraient causé l’accident du père pour essayer d’obtenir l’argent qu’il leur doit », raconte-t-il.

Voilà bien un rendez-vous qu’on ne voudra pas manquer.

Le sang des innocents

Le sang des innocents

Sonatine

396 pages