Avec Station Eleven, un roman couronné de prix, qui a même été adapté en série par HBO (le livre est bien meilleur, à notre avis), puis l’éthéré et mystérieux L’hôtel de verre, Emily St. John Mandel fait encore une fois la preuve de sa fine maîtrise des enchevêtrements narratifs avec La mer de la tranquillité, son sixième roman.

Encore une fois, différentes trames narratives s’entrecroisent dans ce roman fascinant qui mêle les époques, jusqu’à une finale qui réussit avec élégance à faire concorder ces innombrables fils rouges que tend l’autrice entre les différents personnages et lignes du temps.

Il y a Edwin St. Andrew, fils répudié qui, au début du XXsiècle, traverse l’Atlantique, se retrouvant déboussolé dans la nature sauvage de la Colombie-Britannique, où il vivra une expérience bouleversante. Puis, en 2020, Mirella apprend la mort de son amie Vincent en se rendant au concert du frère de cette dernière (deux personnages centraux de L’hôtel de verre), ce qui la replongera dans des souvenirs agités de son passé. En 2203, une écrivaine vivant dans une colonie lunaire est en tournée sur la Terre pour la promotion de son livre qui connaît un énorme succès (on y verra sans doute l’alter ego de l’autrice canadienne, qui vit aujourd’hui à Brooklyn), sous la menace sourde d’une énième pandémie. Plus de 200 ans plus tard, un homme éteint trouvera une raison de vivre en enquêtant sur une anomalie dans la ligne du temps. Inextricablement, les vies de ces personnes sont liées.

La mer de la tranquillité est d’abord un roman intimiste et existentialiste, plutôt qu’une œuvre de science-fiction, même si on y évoque un monde futuriste, des colonies sur la Lune. Hier ou demain, les préoccupations demeurent les mêmes. Qu’on parle d’un voyage dans le temps ou sur un autre continent, l’action sert de vecteur à des réflexions sur la condition humaine, nos destins prédéterminés ou non, ces autres vies qu’on pourrait avoir, le sens de l’existence sur Terre (ou sur la Lune) et la place qu’occupe l’homme dans l’univers. Il y a quelque chose de beau, d’émouvant, de poétique dans la plume sensible de l’autrice, et dans ces personnages d’une vibrante humanité dont elle sait si bien dessiner les contours.

Porté par un rythme plutôt lent, le roman se termine abruptement, alors que tous les morceaux de casse-tête s’emboîtent subitement, nous laissant presque sur notre faim, en suspens, avide de détails qu’on ne pourra qu’imaginer à notre tour.

La mer de la tranquillité

La mer de la tranquillité

Alto

272 pages

8/10