Dans son roman Panorama, l’écrivaine française Lilia Hassaine a imaginé une société où la transparence aurait été poussée à l’excès. Une dystopie troublante qui se fait le miroir des paradoxes sociétaux de notre époque. Nous l’avons jointe en France pour discuter de ce troisième titre très remarqué, en lice pour le prix Renaudot.

2049. La France s’est métamorphosée après la « nouvelle révolution » qui a eu lieu 20 ans plus tôt. Désormais, on peut vivre « en sécurité » sous l’œil de ses voisins dans des quartiers dits transparents, où les maisons sont construites comme des vivariums aux pièces séparées par de simples cloisons de verre.

Dans ces lieux, le crime a complètement disparu. Ou presque, puisque ce qui semblait impossible survient malgré tout : une famille disparaît de l’un des quartiers les plus en vue. Une policière nostalgique des vieilles façons de faire doit alors enquêter sur sa disparition, alors qu’elle n’était plus reléguée dans ce nouveau système qu’au rôle de « gardienne de protection ».

Panorama, raconte au bout du fil l’écrivaine trentenaire (aussi journaliste en France), est né d’une image, en fait. Un soir, un magasin d’ameublement éclairé lui donne l’impression d’entrer dans l’intimité d’un foyer.

Je me suis dit : si tout le monde vivait comme ça, si on pouvait tous voir nos voisins et être vus de nos voisins, à quoi ressembleraient nos villes ?

L’autrice Lilia Hassaine

Mais son roman, ajoute-t-elle, est également très lié au climat général dans lequel on vit. À ses réflexions sur les réseaux sociaux, sortes de fenêtre virtuelle sur nos vies privées. À ce concept de transparence qui « traverse » notre époque, auquel tout le monde cherche à adhérer – en politique, en marketing ou dans la sphère privée, illustre-t-elle. Comme ces entreprises qui se targuent de faire preuve de transparence en montrant la manière dont elles produisent ; ou ces restaurants qui ouvrent leur cuisine pour qu’elle soit visible des clients.

« Cette transparence que j’ai rendue matérielle, avec ses murs vitrés, existe déjà. Donc je n’avais pas l’impression de faire une vraie dystopie. J’avais l’impression de tirer un peu les fils de la réalité et de ce qui se passe aujourd’hui. Mais à peine », lance l’autrice.

De la transparence aux apparences

Ce vivre-ensemble qui est imaginé dans Panorama, en revanche, est loin d’être idéal, découvre-t-on rapidement au fil de l’intrigue qui est construite autour de l’enquête sur la disparition de la famille.

L’idée de la transparence est belle. Mais si on la pousse à l’excès, ça devient une sorte d’outil totalitaire. Dans la société que j’ai imaginée, il n’y a pas de dictateur ou de figure qui domine la société. Mais si tout le monde se surveille, tout le monde est le Big Brother de tout le monde.

L’autrice Lilia Hassaine

Et comme « on veut toujours voir ce qui nous ressemble », souligne-t-elle, on retrouve dans ces nouveaux quartiers les mêmes clivages sociaux qu’autrefois. Ceux qui ne peuvent se permettre de vivre dans les quartiers transparents – ou ne le veulent pas – vivent en marge des villes, dans des endroits où l’absence de surveillance citoyenne va de pair avec une sécurité moindre.

« C’est la grande question du livre, estime Lilia Hassaine. Est-ce qu’on doit sacrifier notre liberté pour plus de sécurité ? »

L’écrivaine pousse cette réflexion sur la liberté encore plus loin. Les réseaux sociaux, selon elle, nous renvoient des images qui vont toujours « dans le sens de ce qu’on pense déjà ». « Ils alimentent la même pensée tout le temps, les mêmes idées, en faisant tourner les gens autour de personnes qui sont à peu près des mêmes milieux sociaux, en leur suggérant les mêmes façons de s’habiller, les mêmes façons de décorer leur maison, etc. », affirme Lilia Hassaine.

On a donc l’impression d’être libre, à son avis, alors qu’en réalité, on est influencé en permanence – encouragé par la valorisation sociale que peut entraîner le fait de gagner des abonnés Instagram, par exemple.

« Cette société de la transparence, souligne l’écrivaine, est en fait une société des apparences. On passe son temps à se comparer, à parler de tolérance, alors qu’en réalité, on supporte assez mal la différence. »

« Finalement, on est tout le temps aux prises avec les “j’aime, je déteste”, la peur, la colère. Ça devient des émotions très fortes, très tranchées, comme s’il n’y avait plus tout un panel d’émotions. Et c’est quelque chose qui m’inquiète. Le principe de la littérature, justement, c’est de travailler toutes les émotions, de voir avec quelle nuance on peut parler d’un sentiment », conclut-elle.

Panorama

Panorama

Gallimard

240 pages