Vendredi matin, La Presse a publié un article sur le programme « Immersion » ⁠1 qui permet à de jeunes recrues du SPVM de côtoyer des gens dans le milieu, auprès d’organismes qui les accueillent afin de leur présenter leur réalité. Quelles ne furent pas ma surprise et ma tristesse de voir une de ces recrues décrire comme un « désastre monumental » sa visite dans notre organisme, où il a passé sa journée à « ouvrir des cannes de pêches » avec des détenus en réinsertion sociale.

Surprise, car il aurait été bénéfique de nous exprimer cette opinion sur place, alors que plusieurs employés étaient présents pour s’assurer que le dialogue soit mutuel et honnête. Triste, car cela reflète le fossé qui sépare la formation de la réalité sur le terrain et l’incompréhension que nous devons combler mutuellement.

Autour de la table

Fourchettes de l’espoir est une entreprise d’économie sociale en sécurité alimentaire. Nous préparons chaque jour des repas pour les personnes âgées, des dîners et des collations pour des enfants et des services de traiteur pour des entreprises.

Étant un organisme à but non lucratif, l’entièreté de nos revenus, notamment créés à partir de cette offre de service, nous permet de mettre en place des initiatives pour venir en aide aux gens dans le besoin. Au sein de notre organisme, nous recevons des gens de tous les horizons que nous réunissons autour de l’endroit le plus rassembleur qui existe dans le monde : la cuisine. Quels que soient la culture, la religion ou le statut social d’une personne, le plaisir de cuisiner et de manger est un élément en commun qui nous permet d’instaurer un sentiment de partage et d’équité. Il devient donc aussi un endroit de dialogue, de débats et de confidences qui nous permet de mobiliser les gens autour de l’objectif louable et commun de mieux nourrir notre population. C’est pourquoi, dans le cadre du projet « Immersion », nous invitons ces futures policières et futurs policiers à participer aux tâches de cuisine avec nos bénévoles, parmi lesquels, des détenus en réinsertion.

Une réinsertion qui marche

Ces gens en réinsertion sont une des grandes fiertés de notre organisation. Depuis 15 ans, nous recevons trois fois par semaine des détenus d’un pénitencier fédéral afin de contribuer à notre mission en travaillant activement à la préparation des repas que nous livrons auprès de nos clients. À travers des gestes simples et communs en cuisine, nous permettons à ces gens de contribuer au mieux-être de la population et nous les aidons à valoriser cette contribution. La réinsertion passe justement par le désir de contribuer positivement à la société et nous sommes fiers de dire que nous réussissons depuis tant d’années à le faire avec grand succès. Les exemples sont nombreux de gens qui ont retrouvé une place dans notre société après avoir retrouvé la liberté. Des gens qui, même, travaillent aujourd’hui en cuisine, car c’est là qu’ils ont trouvé leur vocation.

Ce couteau qu’on leur met entre les mains pour travailler et nourrir n’est pas une arme blanche, c’est une clé vers un sentiment de valorisation, de confiance et de fierté.

Juger moins, juger mieux

Tous les gens qui partagent nos cuisines sont appelés à s’ouvrir et à partager leur vécu tout en respectant les limites de chacun. C’est pourquoi lorsque le programme « Immersion » nous a sollicités, nous avons immédiatement répondu « présent ». Le dialogue entre la police et le milieu est directement ancré dans notre ADN.

Depuis 22 ans, nous collaborons activement avec le poste de quartier 39, les agents sociocommunautaires et les différentes directions du SPVM. Nous avons établi des balises claires pour que Fourchettes de l’espoir devienne un endroit qui favorise le dialogue et la compréhension entre la police, essentielle à notre fonctionnement social, et la population. Une compréhension basée sur l’importance de se parler avant de se juger et de partager pour prévenir. Tout comme le directeur du SPVM, Fady Dagher, nous croyons fermement à « l’équilibre entre la prévention et la répression ». Notre mission est donc d’instaurer un dialogue qui prévient pour que la répression atteigne la bonne cible lorsqu’elle devient nécessaire.

Comme nous, tous les organismes qui participent à « Immersion » ont certainement le même objectif et il est essentiel que le programme se poursuive. Il y a certainement des choses à améliorer, mais on doit continuer. Et si ouvrir des boîtes de pêches nous permettait aussi d’établir un dialogue pour que, dans nos rues, la police ait les outils et la compréhension nécessaires quand vient le temps de juger, serait-ce réellement un désastre monumental ?

Lisez « Les hauts et les bas d’une immersion » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue