Le nouveau roman de l’auteur francophone contemporain le plus lu au monde, qui nous a accordé une entrevue, joue sur un clair-obscur de longue haleine, plaçant l’action au cœur de l’Ukraine. Là, une petite famille est happée par un système effroyable mis en place par l’envahisseur russe ; et ses membres remueront ciel et terre pour extirper le jeune Valentyn de cette sombre machination et le ramener vers la lumière.

Marc Levy semble chérir les thèmes de l’absence et de la disparition (on se souviendra notamment d’Où es-tu ?) et c’est aujourd’hui dans le théâtre d’une actualité brûlante qu’il les met en scène. Dans La symphonie des monstres, se déroulant en pleine invasion russe, on retrouve un enfant ukrainien d’une dizaine d’années atteint de mutisme. Et il y a de quoi rester sans voix en découvrant les manigances politiques dont il sera victime. En effet, après une rafle dans son école, Valentyn est déporté dans un « orphelinat » lointain où, aux côtés de centaines d’autres jeunes compatriotes, on tentera de le faire rentrer dans le moule soviétique pour ensuite le placer dans une nouvelle famille russe ; un plan ourdi par Poutine et consorts à grande échelle.

La mère de Valentyn, Veronika, ainsi que sa sœur aînée Lilya tenteront chacune de leur côté de voler au secours du disparu. Comment une infirmière et une adolescente pourront-elles réaliser cette tâche à haut risque, dans un pays éventré par la guerre et sans même savoir où l’enfant a été conduit ? Il faudra compter sur l’appui de proches et de réseaux – dont certains ont déjà été aperçus dans les précédents opus de Levy.

Investigations poussées

La symphonie des monstres est donc campé dans une réalité bien tangible, tel que le souligne un message en début d’ouvrage, précisant que le roman est inspiré de faits réels. Et avant de lancer Veronika et Lilya dans leurs recherches effrénées, l’auteur a lui-même mené un important travail d’investigation.

Ç’a été un long travail de documentation. J’avais été informé par des contacts que ces programmes de déportation avaient commencé quelques mois avant le début de l’invasion, quand des enfants de camps de vacances en Crimée ne pouvaient plus rentrer chez eux.

Marc Levy

« Je pensais d’abord que c’était des mesures d’intimidation, mais quand j’ai découvert qu’il s’agissait d’un programme de kidnapping et de déportation systématique, je me suis mis à enquêter sur le sujet, parce qu’il me touchait énormément. L’enfant, c’est sacré, et je me suis mis dans la peau de ces hommes et de ces femmes dont j’avais recueilli, lu ou entendu les témoignages », poursuit-il, soulignant s’être assuré de la véracité des informations récoltées avant de se lancer dans la rédaction. Et, oui, des mères ukrainiennes se sont effectivement lancées à la recherche de leur enfant enlevé par l’occupant pour leur laver le cerveau.

Savoir et faire savoir

Doit-on considérer ce nouveau livre comme un roman engagé ? À tout le moins, Marc Levy voit la situation, au-delà du conflit local, comme un fragment d’une guerre plus globale menée par les dictatures contre les démocraties – mettant aux prises « ceux qui glorifient la mort contre ceux qui défendent la vie », dit-il.

« Ce n’est pas un roman engagé comme vous verriez un tribun politique monter sur une estrade avec de grandes tirades, c’est une démarche plus humble qui consiste à raconter une histoire qui va toucher et faire réagir », lance celui qui vise également à semer quelques graines dans le camp russe, puisque La symphonie des monstres a été traduit dans la langue de Tolstoï pour être diffusé librement sur l’internet.

L’objectif ? Alimenter les consciences. Ainsi, l’auteur dresse des parallèles avec les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale. « Quand j’étais enfant et que je demandais pourquoi je n’avais pas de grands-parents, on a mis du temps à me l’expliquer. Quand j’ai demandé “Pourquoi on a laissé faire ça ?”, la réponse qui revenait invariablement, c’était parce qu’on ne savait pas. Alors je crois que quand on sait, et quand on le fait savoir, ça permet à la conscience collective de ne plus pouvoir s’abriter derrière le “on ne savait pas”. »

Résistance humaine

Les guerres ont beau faire s’affronter États, armées et sociétés, elles ne montrent leur vrai visage qu’à l’échelle humaine. Les personnages du roman se veulent ainsi chargés de symboliques, comme le jeune enfant enlevé, qui ne compte pas se laisser faire, même s’il est muet et seulement capable de communiquer par écrit ; une caractéristique qui ne vise pas simplement à attendrir les foules.

Valentyn est un symbole de son pays : il voit tout, comprend tout, subit tout, résiste, et a beaucoup de mal à se faire entendre.

Marc Levy

Idem du côté de Veronika, dont la casquette d’infirmière ne se cantonne pas à un hommage au corps médical. Pour Levy, elle incarne le noyau du roman, soit la résistance individuelle aboutissant à la résistance collective. Le médecin qu’elle épaule le lui fait justement remarquer : « On ne choisit pas le métier d’infirmière quand on accepte la défaite. »

Alors que les conflits se succèdent dans l’actualité, et que les projecteurs se braquent désormais sur les sanglants évènements en Israël et dans la bande de Gaza, on ne peut s’empêcher de sonder l’écrivain pour savoir s’il a déjà songé à bâtir un roman autour de cette belligérance de longue date, corde ô combien sensible ? « Bien sûr que j’y pense, mais je ne sais pas si je serais capable de le faire, vous savez », songe-t-il.

La symphonie des monstres

La symphonie des monstres

Robert Laffont

400 pages