Dans son nouveau roman, Qimmik, Michel Jean continue de raconter des pans de l’histoire des Autochtones en montrant comment le passé éclaire le présent. Et, plus que jamais, il nous rappelle que cette histoire est aussi la nôtre.

On a rencontré Michel Jean au début de la semaine dans un café tout près de TVA, où il est toujours chef d’antenne le midi. Pas facile d’attraper le populaire auteur pour une entrevue – sur les réseaux sociaux, il se surnomme lui-même « l’Innu errant ».

Depuis la mi-septembre, en plus d’un saut de quelques jours à Toronto, il a fait deux longs séjours en France pour assurer la promo de Tiohtià:ke, (tout juste lancé au Seuil, sorti ici en 2021 chez Libre Expression). C’est que grâce à Kukum, qui frôle là-bas les 40 000 exemplaires vendus, Michel Jean est devenu la coqueluche des libraires et des lecteurs. « C’est énorme pour un nobody, qui n’a pas vraiment fait de présence dans les médias. »

En fait, depuis deux ans, sa chère Almanda l’a aussi fait voyager en Allemagne, au Liban, au Mexique, en Estonie, en Suède… Et ce n’est pas fini, puisque le livre vient tout juste d’être traduit en arabe. « Et aussi en croate, en russe, en espagnol, en anglais », complète-t-il.

Ça confirme ce que je pensais. On se fait dire que nos histoires n’intéressent personne. Mais elles sont universelles.

Michel Jean

Michel Jean le répète depuis trois ans : Kukum a changé sa vie. « Ce que ça m’a donné, c’est la liberté. » Mais comme il n’a pas quitté son boulot de journaliste, sa vie en ce moment se résume pas mal au travail. Et il ne s’en plaint pas.

« Ça fait longtemps que j’écris et c’était mon rêve de voyager avec mes livres, créer des liens autour de la littérature. Alors quand on me dit : ça te tente-tu de venir en Italie deux semaines parler de tes livres… ben oui ! »

Inhumain

Michel Jean a consacré deux ans à Qimmik, qui, après Kukum, raconte une autre histoire de sédentarisation forcée : celle des Inuit pendant les années 1960 et 1970, qui ont été regroupés de force dans 14 villages sur le territoire du Nunavik. Une histoire marquée par l’abattage par les autorités policières de milliers de chiens d’attelage nordiques – les qimmik –, qui a laissé des cicatrices profondes chez les Inuit.

Pour un Inuk, un chien n’est ni un humain ni un animal. C’est un allié.

Michel Jean

Ce lien avec les chiens, sans lesquels les Inuit ne pouvaient simplement pas survivre, est le fil conducteur de ce roman qui se déroule sur deux époques. On y suit un jeune couple dans le Grand Nord pendant les années 1960, au gré de ses déplacements et de sa quête de nourriture, et les questionnements d’une avocate aujourd’hui, qui défend un sans-abri inuk soupçonné de meurtre.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Michel Jean est horrifié par l’abattage massif de chiens d’attelage dans un passé récent.

Grand ami des animaux et amoureux des chiens, Michel Jean est horrifié par cet abattage massif qui a été mené en grande partie par des policiers de la Sûreté du Québec. « J’essaie d’imaginer comment ça se passait, quand les policiers débarquaient… », glisse-t-il.

« Comment on a pu penser que pour empêcher les gens de partir, il fallait tuer les chiens ? Comment quelqu’un, quelque part au Québec, a pensé que c’était une bonne idée ? Voyons. On n’a pas respecté ces cultures, on n’a pas respecté ces gens-là. Quelque chose d’inhumain s’est passé. »

Ce qui le choque encore plus : que ce massacre se situe dans un passé tout de même récent, et non en « 1800 quelque ». Il rappelle aussi que les Inuit n’étant pas soumis à la Loi sur les Indiens, c’est bien à Québec que cette décision s’est prise. « Les nationalistes identitaires tiennent souvent Ottawa responsable des problèmes liés aux Autochtones, mais le colonialisme, il s’est fait au Québec aussi. En Amérique, il s’est fait en espagnol, en portugais, en anglais, et en français. »

Femmes fortes

L’idée n’est pas de blâmer, mais de raconter cette histoire qui n’est enseignée nulle part, « pour que le Québec ne se décharge pas de sa responsabilité historique ».

C’est correct, on n’est plus à cette époque, on regarde en avant maintenant. Mais comme le disait Elisapie Isaac, dans l’expression Vérité et réconciliation, il y a le mot vérité. C’est un roman qui raconte une vérité importante dans l’histoire récente.

Michel Jean

Fidèle à sa manière, Michel Jean a « caché » tout ça dans un roman mené rondement, qui se veut tout sauf didactique. Et comme souvent, ce sont des femmes fortes qu’il met en scène – la narratrice Saullu, comme Almanda, a un côté « badass » qu’il aime bien. « Ça me vient naturellement, j’ai juste des femmes fortes dans mon environnement ! Et le personnage de l’avocate, Eve, c’est notre regard sur la justice. Mais j’aimais mieux une avocate qu’un avocat, je ne sais pas pourquoi ! »

Eve se fait aussi rattraper par ses origines, comme c’est arrivé à Michel Jean il y a quelques années. Il s’interrompt un instant. « As-tu aimé la fin ? » Excellente question : les dernières pages de Qimmik sont en effet très remuantes, quand tout ce qu’il a semé dans le livre prend son sens.

« Moi, je l’aime en tout cas. Je voyais la scène, la grand-mère qui se penche pour sentir l’odeur du chien. C’est juste un chien… mais c’est le passé. Mais peut-être que je suis sentimental. »

La suite

L’autre personnage du roman est le territoire, qu’il a pris grand soin de décrire pour en faire sentir toute la beauté et la dangerosité.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Michel Jean réfléchit déjà au sujet de son prochain roman.

« C’est quand même la fin d’un mode de vie, il fallait montrer ce qu’ils ont perdu. Ce livre porte sur un drame, et sur les conséquences d’un drame, dans une histoire que j’espère captivante et touchante. »

Pour la suite, l’auteur qui écrit « avec son cœur » a plein de voyages littéraires en vue, des projets de scénarisation – trois de ses livres sont en cours d’adaptation – et réfléchit déjà au sujet de son prochain roman.

« Il y en aura un autre, c’est sûr. L’affaire la plus importante, c’est le prochain livre. » Et il continuera bien sûr à porter ces histoires sur lesquelles il est devenu impossible de « mettre un couvercle ».

« Parce que sais-tu quoi ? Ils ont essayé ben des affaires, et on est encore là. »

En librairie le 18 octobre

Qimmik

Qimmik

Libre Expression

224 pages