Pour Robin Aubert, la poésie est la forme d’art qui dit le plus la vérité. Conversation autour de ses 36 poèmes de série B.

Un jour, Robin Aubert assiste chez Armand Vaillancourt à une soirée-rencontre avec le psychomagique cinéaste chilien Alejandro Jodorowsky. « À un moment donné, raconte Aubert, je me retrouve en tête à tête avec Jodorowsky, à qui je dis : ‟Je me sens bloqué. Est-ce que je suis acteur, réalisateur, poète ?” Il me répond : ‟T’es devant un mur de marbre. Que vas-tu faire pour t’en sortir ?” Ben je vais frapper, cogner. Lui me répond : ‟T’as juste à faire ça.” »

Ça ? Robin se lève de table et mime une sorte de petite steppette de ballet, de révérence. Comprendre : il n’y a pas de meilleure attitude à adopter face au mur de marbre que de l’ignorer. Le mur de marbre n’est peut-être, de toute façon, qu’une vue de l’esprit.

Ce n’est que durant la création d’À l’origine d’un cri (2010), dans lequel son personnage d’Hugo (Patrick Hivon) tâte de la poésie, que Robin Aubert se donne lui-même la permission d’en écrire davantage et, surtout, de la faire lire. « Mais la poésie a toujours été là », précise celui qui, jeune adulte, à l’usine Cascades de Kingsey Falls, lisait Les Fleurs du mal durant ses pauses.

Malgré deux recueils (Entre la ville et l’écorce en 2011 et El beso del amor en 2014), la poésie demeure pourtant chez lui une affaire intime, à laquelle il pense tout le temps un peu, mais dont il ne parle pas forcément autour d’un verre avec ses chums.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Robin Aubert

« Un poème amoindrit la lourdeur des nuages gris/Un poème tire sa révérence devant l’imbécillité//Un poème charge ses pics sur la haine/Un poème affaiblit la mort//Un poème fait passer la nostalgie pour un rêve », écrit-il dans 36 poèmes de série B, un titre plein d’autodérision, témoignant de son désir de se dédouaner face aux poètes patentés et de signaler que c’est dans l’apparemment-pas-poétique-du-tout qu’il puise ses poèmes.

En toute humilité

Dans 36 poèmes de série B, Robin Aubert enquête sur une disparition avec Jack Nicholson, observe sa fille faire un câlin à un arbre, soupèse la beauté du mot obsolète, se remémore une pointe de pizza mangée au Texas, s’excuse auprès de ses amis qu’il ne voit pas assez souvent et pense à la corne de brume qui, enfant, lui procurait tant de joie.

Entre Ibiza et Ham-Nord, Lafayette et Verdun, le gars de 51 ans prend aussi le temps de saluer les poètes Maude Veilleux et Patrice Desbiens.

« Quand j’ai rencontré ma blonde, on se lisait du Desbiens au lit », confie-t-il, ce qui ressemble à un poème en soi. « Il y a de quoi de charnel chez Desbiens. »

Desbiens demeure d’ailleurs l’influence la plus prégnante de son œuvre, ne serait-ce que dans cette humilité avec laquelle il grimpe sur le cheval de l’écriture. « Je ne fais pas de poèmes/Je décris des lieux […]/Je place des images qui s’enchevêtrent elles-mêmes/Sans trop d’efforts/Ce sont de grandes filles », jure-t-il.

Ce qui est à la fois vrai et faux. Parce que si ses poèmes coulent effectivement d’eux-mêmes, notre homme fait plus que de simplement décrire des lieux ou des souvenirs. À la manière de son auteur préféré, Blaise Cendrars, Aubert fait mine de nommer l’alentour, alors qu’il parle toujours un peu de sa vie intérieure et arrive en un vers, comme les surréalistes, à « ouvrir dans l’esprit du lecteur un tiroir qu’il n’ouvre pas souvent, le temps de voir s’il y a des étoiles là-dedans ».

Chez le grand Robert

En 1995, Robin Aubert incarne dans la pièce Eddy de Jean-Marc Dalpé un boxeur sudburois. En bon disciple des méthodes de l’Actors Studio, le jeune diplômé en théâtre roule jusqu’à Sudbury, où il est accueilli par le regretté poète et professeur Robert Dickson (un des trois D de la poésie franco-ontarienne avec Dalpé et Desbiens), qui lui parle de la vérité de la poésie.

La poésie, en dehors de toutes les autres formes d’art, c’est celle qui dit le plus la vérité. Au cinéma, dans le roman, tu parles sous forme d’évocations, de symboles. Quand t’as le goût de dire la vérité, t’écris de la vérité. That’s it.

Robin Aubert

Robin Aubert est né à Ham-Nord, dans le Centre-du-Québec, mais a quelque chose d’un poète franco-ontarien, dans la mesure où, comme il le dit, « la poésie franco-ontarienne, c’est terre à terre et en même temps, c’est jazzy. T’entends le drum et les cymbales en arrière ».

Pour qui Robin Aubert écrit-il ? Pour lui, d’abord et avant tout, parce que la poésie estompe ses douleurs, grandes ou petites. Robin Aubert écrit aussi pour sa tante Marcelle, même si elle n’est plus des nôtres. « Ma matante Marcelle avait mis mon recueil sur son bol de toilette et c’est là qu’elle me lisait, un poème à la fois. Il y a toujours une partie de moi qui écrit pour ceux qui mettent de la poésie sur leur bol de toilette. »

36 poèmes de série B

36 poèmes de série B

L'Oie de Cravan

88 pages