Ce qui devait être un recueil de souvenirs empruntés au passé trouve aujourd’hui un écho malheureux dans l’actualité. Replongeant dans les études qu’elle a menées sur le Moyen-Orient et sa rencontre avec un mystérieux étudiant palestinien, la journaliste et cheffe d’antenne Claudine Bourbonnais tisse la toile d’un récit personnel passionnant, sur fond de suspense politique.

Le destin c’est les autres est publié alors que le conflit israélo-palestinien connaît l’une de ses plus importantes escalades des dernières décennies. Une triste coïncidence pour son autrice Claudine Bourbonnais qui raconte des évènements se déroulant en 1988, en 1989 et en 2006. Découpé en trois actes, le récit s’ouvre sur ses études universitaires à l’Université Durham en Grande-Bretagne, se poursuit au Caire où elle a vécu son premier contact avec le monde arabe et se termine à cheval sur Montréal et Londres où l’autrice apprend la vérité sur Marwan, cet étudiant palestinien qu’elle a côtoyé.

Comme bien des gens, celle qui est titulaire d’une maîtrise en études contemporaines sur le Moyen-Orient a été surprise de l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre dernier.

Alors qu’elle avait prévu un congé cette soirée-là, elle a dû, à contrecœur, suivre les évènements hors de la frénésie de la salle de nouvelles de Radio-Canada.

« Depuis quelques mois, il y avait des tensions dont on parlait dans les bulletins de nouvelles, mais ce qui s’est passé, personne ne l’a vu venir », souligne celle qui est à la barre du Téléjournal week-end depuis 2021. « C’est sûr que ce qui se passe en ce moment va annuler les espoirs de paix pour un petit bout de temps. C’est ce qui est désolant. C’est une histoire qui se répète. »

« Sombre optimisme »

Pourtant, en 1988, à quelques années de la signature des accords d’Oslo, la paix était à portée de main. « On y croyait vraiment, se souvient-elle. Il y avait eu la première intifada. Ça avait déclenché tout un mouvement, un processus de négociation qui nous a donné l’espoir qu’on était en train d’assister à la construction d’un monde meilleur. »

C’est ce « sombre optimisme » de la fin des années 1980 qu’elle a souhaité mettre en scène dans ce récit fluide et bien ciselé, lequel paraît neuf ans après Métis Beach, un premier roman campé dans les années 1960 qui avait enthousiasmé la critique. Marché du travail congestionné, peur du sida, taux d’intérêt prohibitifs ont marqué les jeunes adultes de cette génération, la sienne, mais politiquement, il régnait à cette période un optimisme ambiant alimenté par la chute du mur de Berlin et la libération de Nelson Mandela. Un optimisme qui, selon elle, a occulté la montée de l’islamisme incarnée par le personnage de Marwan, un homme réel, mort depuis, dont elle a changé le prénom puisque, justifie-t-elle, ce n’est pas son histoire qu’elle raconte.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Claudine Bourbonnais, en entrevue avec La Presse

« La paix au Proche-Orient, si près du but à l’époque, a déraillé comme le reste de nos attentes envers ce monde, écrit-elle. N’y a-t-il plus d’espoir autre que la violence – et les attentats ? Je refuse d’y croire. » Les évènements récents n’ont pas eu raison de cet espoir qu’elle portait alors en elle. « Est-ce que l’ampleur de cette attaque et l’ampleur de ce qu’elle va amener comme réplique de la part des Israéliens vont provoquer une certaine conscience et amener la communauté internationale à s’impliquer encore davantage dans le processus de paix ? C’est à souhaiter. »

D’abord, les autres

Le destin c’est les autres est le dixième ouvrage de la collection III de Québec Amérique, construite sur les souvenirs tirés de la vie des auteurs, sans toutefois évacuer complètement la fiction. Comment la journaliste a-t-elle navigué entre réalité et invention ? « Je pense que l’important est que le lecteur plonge dans une histoire et y croie, répond-elle. À la base, les faits les plus importants sont réels. Parler de soi, c’est un exercice qui était nouveau pour moi et ne parler que de soi, ça ne fait pas nécessairement de très bonnes histoires. Il fallait construire une trame narrative. »

Pudique de nature, malgré son travail public, Claudine Bourbonnais n’aime pas se mettre de l’avant. « C’est plus important de parler des autres que de moi-même », dit-elle. Ainsi, elle a voulu utiliser sa propre histoire pour raconter des rencontres déterminantes qu’elle a faites dans sa vie : ce professeur libanais rencontré au cégep, son ami Paul de l’université, des journalistes au Caire qui lui ont donné envie d’exercer ce métier.

Ainsi, si l’enfer, c’est les autres, comme l’écrivait Jean-Paul Sartre, ils peuvent aussi porter notre destin, pense l’autrice. « Je ne crois pas les gens qui disent qu’ils se sont construits seuls. Je crois qu’on est inspiré par les autres. »

Nos destins sont façonnés par les gens qu’on rencontre dans la jeunesse et professionnellement. Les grandes histoires d’amour nous façonnent aussi.

Claudine Bourbonnais

Ainsi, elle accueille dans son récit son mari Gilles Le Bigot, également journaliste à Radio-Canada, qui s’est éteint en 2017. Celui qui sortait la nuit déneiger sa voiture les soirs de tempête pour qu’elle puisse aller animer l’émission matinale de RDI.

« Ma grande amie Abla Farhoud, à qui je dédie ce livre, me disait tout le temps : “Écrire, c’est chercher à comprendre.” On écrit pour trouver des réponses à nos questions. Je n’avais jamais compris à quel point ma rencontre avec Gilles n’aurait peut-être pas eu lieu si on n’avait pas eu cet intérêt commun pour le Proche-Orient. » Un intérêt qu’elle partageait aussi avec son amie écrivaine d’origine libanaise, disparue il y a deux ans. « C’est Abla qui m’a donné l’envie d’écrire et c’est Abla qui m’a laissé croire que peut-être je pourrais moi aussi, un jour, écrire un livre et être publiée. Sans Abla Farhoud, je ne serais pas avec vous pour parler du livre que j’ai écrit. »

Sans l’éditrice Danielle Laurin non plus, dont la proposition de participer à cette collection lui a permis de transformer en court récit ce deuxième roman, peut-être trop près d’elle, qu’elle avait entamé, mais peinait à poursuivre. Et la voilà repartie pour l’écriture d’un nouveau roman dont elle ne dira mot « parce que c’est assez nouveau ».

En librairie le 17 octobre

Le destin c’est les autres

Le destin c’est les autres

Québec Amérique

152 pages